Dans le cadre du cycle Grands Interprètes, ce sont deux jeunes pousses du monde de la musique classique qui sont réunies, le pianiste Alexandre Kantorow et le violoniste Daniel Lozakovich, deux musiciens époustouflants, en ce mercredi 12 avril à la Halle à 20h.
Le programme comporte trois sonates de Brahms, Schumann et Frank.
Johannes BRAHMS : Sonate pour violon et piano n° 2 en la majeur, opus 100
Robert SCHUMANN : Sonate pour violon et piano n° 1 en la mineur opus 105
César FRANCK : Sonate pour violon et piano en la majeur FWV 8
À 22 ans, Alexandre Kantorow est le premier pianiste français à remporter la médaille d’or du Concours Tchaïkovski ainsi que le Grand Prix, décerné seulement trois fois auparavant dans l’histoire du concours.
Déjà salué par la critique comme le « jeune tsar du piano » (Classica) et la « réincarnation de Liszt » (Fanfare), il a reçu de nombreux autres prix et est déjà invité à se produire au plus haut niveau dans le monde entier. Pour quelques rares musiciens, la consécration se révèle pratiquement immédiate et, c’est tout de suite, les plus grands festivals, les plus grandes salles, les plus grands chefs, les plus grands orchestres et les plus grands partenaires en musique de chambre, ou en tant qu’accompagnateur, les plus grands chanteurs.
Avant même le concours, Alexandre Kantorow avait déjà attiré l’attention. Il a commencé sa carrière très tôt et, à 16 ans, il a fait ses débuts à La Folle Journée de Nantes.
Et bien sûr, les médias sont tous présents, sans omettre les maisons de disques, à l’affût toujours de la nouvelle “perle“ que l’on se doit de faire vite enregistrer. Alexandre Kantorow est lauréat de la Fondation Safran et de la Banque Populaire, et a été nommé en 2019 » Révélation musicale de l’année » par l’Association des critiques professionnels. En 2020, il a remporté les Victoires de la Musique Classique dans deux catégories : Enregistrement de l’Année et Soliste Instrumental de l’Année.
Né en France et d’origine franco-britannique, il a étudié avec Pierre-Alain Volondat, Igor Lazko, Frank Braley et Rena Shereshevskaya.
Daniel Lozakovich, dont le talent majestueux laisse critiques et publics pantois, est né à Stockholm en 2001 où il commence le violon vers ses sept ans, un peu trop tard, paraît-il. Mais, le surdoué suédois de l’archet apprend vite, très vite, très très vite ! Sa carrière solo débute deux ans plus tard auprès des Virtuoses de Moscou et Vladimir Spivakov. Il parle le suédois, le russe, en famille, l’anglais et l’allemand !
Aussi météore que son acolyte, Daniel Lozakovich joue déjà régulièrement avec des orchestres parmi les plus reconnus. Il collabore avec des chefs d’orchestres internationaux prestigieux dont la liste est déjà fort longue, impressionnante. Récemment, il a répondu à l’invitation du Boston Symphony Orchestra dirigé par Andris Nelsons. Sont aussi notables, son apparition new-yorkaise au Mostly Mozart Festival aux côtés de Louis Langrée, sa collaboration avec Klaus Mäkelä pour le Cleveland Orchestra ou encore sa participation avec Esa-Pekka Salonen au Los Angeles Philharmonic. Parmi ses tournées marquantes, il faut noter celle qu’il a entreprise avec Valery Gergiev en Asie et au Japon ainsi que celle qu’il a réalisée sous la direction d’Andrés Orozco-Estrada pour le Hr-Sinfonieorchester. Sa saison 2021/2022 fut remarquable.
Soliste très recherché, il connaît dès l’adolescence puis tout jeune homme les salles les plus prestigieuses. Il est régulièrement invité aux festivals de musique internationaux, comme le Verbier Festival, les Sommets Musicaux de Gstaad, le Festival de Rotterdam, le Festival des Nuits blanches de Saint-Pétersbourg, le Festival de Pâques de Moscou,……En un mot, c’est un début de carrière “scotchant“ !!
À 15 ans, c’est le plus jeune musicien signant un contrat d’exclusivité avec Deutsche Grammophon ; en 2018, il publie son premier album composé des concertos pour violon et de la solo partita n°2 de Bach qui s’est hissé en haut du classement des ventes musicales en Allemagne et sur Amazon France. Dédié à Tchaïkovsky, son deuxième album, None but the lonely heart, est sorti en 2019. En 2020, il enregistre un troisième album live dans lequel il joue, avec le Münchner Philharmoniker, le concerto pour violon de Beethoven, dirigé par Valery Gergiev. Et il n’a que…22 ans au 1er avril.
Il est le lauréat de nombreuses récompenses dont le premier prix du Vladimir Spivakov International Violin Competition de 2016. Il joue sur deux instruments ; le Stradivari « ex-Baron Rotschild » gracieusement prêté par Reuning & Son (Boston) et Eduard Wulfson ainsi que le Stradivarius Le Reynier (1727) prêté par LVMH.
Johannes BRAHMS
Sonate n° 2 en la majeur, op. 100
I Allegro amabile
II Andante tranquillo-vivace-andante-vivace di piu-andante-vivace.
III Allegretto grazioso (quasi andante)
créée à Vienne, le 2 décembre 1886 par le violoniste Josef Hellmesberger I et le compositeur au piano.
Alexandre Kantorow et Daniel Lozarovich, seront-ils, le temps de cette sonate la réincarnation de Johannes Brahms au piano et de son ami Josef Joachim au violon ?
« J’aime le Brahms qui se laisse aller à la passion, mais il est tellement savant que sa musique est aussi un bonheur pour l’esprit. Quand l’émotionnel rejoint le cérébral, personne n’est aussi grand que lui. » A. Kantorow
Si le répertoire de chambre représente un cinquième de l’œuvre entière de Brahms, elle est à parts égales avec les pièces pour piano. Sa production va toutefois se concentrer dans une période de vie de pleine maturité. C’est le cas pour ses trois sonates pour piano et violon composées autour de ses cinquante ans. Période très féconde. On est en Suisse, au bord du lac de Thune, au milieu de ce paysage « si plein de mélodies qu’il faut faire attention à ne pas marcher dessus ».
C’est le temps, entre autres, de son unique Concerto pour violon op. 77, des 3eme et 4eme Symphonies et du Double concerto pour violon et violoncelle. On pourra se réjouir de l’écriture riche et puissante du piano, reflétant tous les talents de pianiste du compositeur et remarquer que les deux instruments sont toutefois traités tout au long à égalité. Une écriture mettant en valeur toutes les potentialités sonores et expressives du piano comme du violon. Sûr que Joseph Joachim a dû être d’un précieux conseil en ce qu’il en est du violon. Quant aux lignes de cet op. 100, baptisée, la “Thuner-Sonate“, elles sont rêveuses et d’humeur joviale reflétant l’humeur et la plénitude du compositeur en ce temps-là, sur les rivages du lac de Thune, en Suisse. Lignes introduisant parfaitement l’esprit de sérénité pénétrant l’ensemble de la sonate.
« Aucune œuvre de Johannes ne m’a ravie aussi complètement. J’en ai été heureuse comme je ne l’aurais été depuis bien longtemps. » Clara Schumann, veuve depuis trente ans.
Nietzche dénonçait chez Brahms “la mélancolie de l’impuissance“. On peut peut-être rectifier et parler plutôt de la mélancolie du silencieux volontaire, et rejoindre alors celle, Clara pour ne pas la nommer qui aurait pu souhaiter rencontrer davantage d’audace, moins d’autocontrôle, de réserve dans une telle apparition romantique, vieille de maintenant près de trente-cinq ans !
Robert SCHUMANN
Sonate n°1 pour violon et piano, en la mineur op. 105
Mit leidenschaftlichem Ausdruck – Avec une expression passionnée
Allegretto (pourvu exceptionnellement d’un titre italien)
Lebhaft – Animé
La Sonate fut créée par le violoniste réputé Ferdinand David avec au piano Clara Schumann le 21 mars 1852 à Leipzig, lors de la solennelle Semaine Schumann.
Écrite en 1851, cinq ans avant son suicide avéré à l’âge de 46 ans, c’est une période qui commence à devenir fort délicate, question santé avec ses troubles psychiques de plus en plus envahissants. Ce qui ne peut que rejaillir sur la nature de ses compositions, comme ici, le côté beaucoup plus dans le grave des cordes pour le violon. Instrument auquel il n’a pas consacré toute son énergie même si c’est un protagoniste de choix dans ses quatuors, et quintettes et trios. Fini le côté aguicheur dans le registre aigu du violon que les romantiques vont tant utiliser en raison de son caractère expressif, démonstratif, racoleur ?
L’écriture des Sonates répond à une demande formulée par le violoniste alors réputé David Ferdinand : « Tes Phantasiestücke pour piano et clarinette m’ont énormément plu, pourquoi n’écris-tu pas pour violon et piano ? Nous avons tellement besoin de quelque chose de nouveau, et je crois que personne d’autre que toi ne pourrait mieux réussir. » C’est à ce moment-là que Robert Schumann lache des phrases comme : « Il faut créer pendant qu’il est encore jour. » Une période durant laquelle il va produire avec une rage étonnante un nombre important d’œuvres nouvelles, abordant tous les genres musicaux utilisés auparavant, cherchant à exprimer par tous les moyens sa nature créatrice.
Les trois mouvements développent chacun à leur manière la recherche d’une expression passionnée différente. Prêtez vos deux oreilles au magnifique thème lyrique qui lance le premier mouvement dans lequel les contrastes mélodiques tout autant que techniques trahissent la fougue de Florestan, le côté enflammé de la double personnalité chère aux romantiques allemands. Le côté rêveur, mélancolique d’Eusébius se révèle dans l’Allegretto avec une ondoyante mélodie chantée “legato“. Elle n’aura pas la partie facile car vient s’y opposer à plusieurs reprises, comme par un accès soudain de fièvre, un second thème au rythme plus rapide et au phrasé piqué.
César FRANK
Sonate pour violon et piano en la majeur, FWV 8
I Allegretto ben moderato
II Allegro
III Recitativo-Fantasia
IV Allegreto poco mosso
Si la réputation de César Frank est fondée sur moins d’une demi-douzaine d’œuvres, elles furent toutes composées au cours des dernières années de sa vie, dont justement la Sonate pour violon qui date de 1886. Le compositeur, né en 1822, meurt en 1890. César Frank la dédia à son compatriote, le célèbre violoniste belge Eugène Ysaye qui la créa, et contribua ainsi à son premier et tardif succès public.
En César Frank, le professeur et pédagogue est peut-être plus important que le compositeur et organiste. À un moment où la France se cherche, entre l’imitation de Richard Wagner et la musique dite de salon, il éleva une nouvelle génération de compositeurs. On peut citer et qui furent ses disciples, Claude Debussy, Vincent d’Indy, Henri Duparc, Louis Vierne. Un autre musicien belge, Guillaume Lekeu, vint se joindre au groupe peu de temps avant le décès de César Frank, et pourtant, un fanatique de Wagner !
Élevé avec rigueur, César Frank fut orienté vers le baroque et le classique, éprouvant une grande “tendresse“ pour le monde spirituel d’un certain J.S. Bach. Organiste, il possède magistralement le contrepoint tout comme l’improvisation et, quoi de mieux que cette dernière pour teinter ses propres compositions. On remarquera assurément la présence, à la fois dans la Sonate, de cette rigueur et cette liberté. Mais encore, ses quatre mouvements se rapprochant deux par deux, le récitativo du troisième mouvement qui oscille librement entre les deux instruments et la Fantasia qui en découle. De ce dernier, Enesco dira : « Quand je joue le troisième mouvement de la sonate, je murmure tout bas les paroles pour lesquelles cette musique vraiment divine me semble si bien faite : Agnus dei, qui tollis peccata mundi… »