Un chef d’orchestre dynamique, un guitariste lumineux et un compositeur imaginatif animaient le concert donné le 17 mars dernier par l’Orchestre national du Capitole. Réjouissons-nous, sans chauvinisme aucun, de la richesse musicale que recèle notre terroir. De César Franck à Benjamin Attahir, le programme de cette soirée a permis de confirmer deux grands talents d’interprètes, ceux du chef d’orchestre Pierre Bleuse et du guitariste Thibaut Garcia.
Signalons tout d’abord que cet événement est capté et diffusé en direct par la chaîne France-Musique qui a d’ailleurs consacré la programmation de ce vendredi à l’Orchestre national du Capitole. Un honneur mérité par cette institution culturelle de première grandeur !
Construit autour de la création mondiale d’une nouvelle œuvre de Benjamin Attahir, ce concert stimulant s’ouvre sur une partition peu jouée de César Franck, son poème symphonique Le Chasseur maudit. L’œuvre s’inspire de la ballade Der wilde Jäger (littéralement « Le Chasseur sauvage » ou « Le Chasseur fantastique ») du poète allemand de la deuxième moitié du XVIIIe siècle Gottfried August Bürger, un représentant du courant Sturm und Drang. C’est l’histoire d’un Comte du Rhin qui part à la chasse en refusant d’assister au culte dominical. Dans sa course folle, il piétine les récoltes et applique le fouet aux paysans qu’il trouve sur son chemin. Il est alors maudit par une voix terrible qui le damne pour l’éternité et le poursuit jusqu’à la bouche béante de l’enfer. Sujet fantastique s’il en est, que César Franck a brillamment illustré. Dirigée et jouée avec ardeur et brio, l’œuvre resplendit dès le flamboyant appel de cors qui l’introduit. Avec vigueur et précision Pierre Bleuse déchaîne toutes les forces musicale d’un orchestre aux couleurs « sataniques » bien en situation. Menaces et violence maîtrisée trouvent jusqu’au bout de la course une expression en phase avec le contenu littéraire de l’œuvre.
La création mondiale signée Benjamin Attahir poursuit la série de ses œuvres créées par l’Orchestre national du Capitole. En 2014, ce fut le Concerto pour hautbois intitulé Nur (avec Olivier Stankiewicz), en 2016 Nach(t)spiel, pour violon et orchestre (avec Geneviève Laurenceau), en 2017 Sawti’ Zaman – À Pierre Boulez, en 2019 une œuvre pour soprano, violon et orchestre intitulée, de manière énigmatique, Je / suis / Ju / dith (avec le violoniste Renaud Capuçon et la soprano Raquel Camarinha) et en 2022 Khatoun Wahidoun, un concerto pour piano et orchestre (avec Bertrand Chamayou).
La pièce créée ce 17 mars est un concerto pour guitare et orchestre intitulé El Biir (Le Puits) et inspiré du poème éponyme du dramaturge et romancier français Lancelot Hamelin. Dédiée à son interprète Thibaut Garcia, cette partition dramatique et forte traduit musicalement le dialogue entre deux militaires engagés dans la guerre civile syrienne. Pour l’occasion, la disposition des instruments sur le plateau de la Halle aux Grains est légèrement modifiée. Les premiers et les second violons se font face, de part et d’autre du podium du chef, comme pour représenter le dialogue que suggère une écriture musicale « stéréophonique ». Du murmure au cataclysme, la partition développe une tension impressionnante soutenue par une complexité et une richesse du rythme, élément essentiel de l’écriture. La guitare, dans ses échanges avec l’orchestre, évoque comme une tentative de modération de la violence obsessionnelle qui anime les tutti. Les rares détentes, parmi les tensions dominantes, trouvent dans l’instrument soliste leur porte-parole essentiel. Certains thèmes, comme des leitmotivs, se retrouvent tout au long de la progression, avec parfois comme une évocation orientalisante.
Largement applaudie, cette création amène sur scène le compositeur Benjamin Attahir qui rejoint ses interprètes. Pierre Bleuse, ardent défenseur de la pièce, l’ensemble des musiciens de l’Orchestre et Thibaut Garcia sont fortement acclamés. Ce dernier offre enfin un bis apaisant et bienvenu, une courte pièce de Marin Marais, comme pour réconcilier les forces opposées évoquées par El Biir.
La seconde partie de la soirée permet de retrouver César Franck et son œuvre orchestrale la plus populaire, dont Debussy écrivit « La symphonie du père Franck est ébouriffante », autrement dit sa Symphonie en ré mineur. Il est vrai que le jeu des thèmes qui se retrouvent tout au long des trois mouvements s’avère passionnant. Pierre Bleuse dirige le Lento initial de manière très progressive. La musique semble émerger du silence avant d’éclater avec vigueur. Les contrastes sont aiguisés, la direction pleine d’une impressionnante énergie parfaitement maîtrisée.
Les pizzicati qui ouvrent l’Allegretto installent un certain mystère que l’emportement des tutti domine bientôt. Le final Allegro non troppo, s’il rappelle les thèmes essentiels des mouvements précédents, évolue progressivement vers une apothéose à la fois brillante et glorieuse. Le chef sollicite et obtient des musiciens un éclat sonore tout particulier. A la fois précise et enthousiaste, sa direction déchaîne les passions les plus positives de la partition.
L’accueil enthousiaste que le public réserve à cette exécution s’adresse à l’ensemble des interprètes de cette belle soirée. Pierre Bleuse ne ménage pas ses félicitations à chaque pupitre, à chaque soliste.
Signalons que dans un prochain concert, l’Orchestre national du Capitole retrouvera son précédent directeur musical, Tugan Sokhiev.
Orchestre national du Capitole