Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.
La récente réédition des mémoires de George Sanders (1906-1972), dans une nouvelle traduction de Romain Slocombe et avec une préface d’Eric Neuhoff, est l’occasion de découvrir ou de redécouvrir cette autobiographie vagabonde, drolatique, acide. En dépit de son maintien très britannique, Sanders naquit en Russie, « dans un monde voué à disparaître », de parents natifs de Saint-Pétersbourg dont les ancêtres venaient d’Ecosse. La famille s’exila en Angleterre après la révolution de 1917 et c’est là-bas que le jeune Sanders – après quelques pittoresques expériences en Amérique Latine – fit ses premiers pas à la BBC, au théâtre et au cinéma avant de céder à l’appel de Hollywood.
Au gré d’une centaine de films, il ne se départit que rarement de son « expression d’élégance scélératesse » et de son allure de « canaille aristocratique ». Acteur-fétiche d’Albert Lewin, il tourna dans nombre de nanars, mais il restera à jamais Addison DeWitt dans Eve de Joseph L. Mankiewicz, personnage de journaliste cynique qui lui valut l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle.
Charmante fosse d’aisance
Sanders pratiqua le métier de comédien avec un mélange de nonchalance, de dédain et de dilettantisme. Ce qui ne l’empêcha pas d’être surpris par la méthode de Roberto Rossellini sur le tournage de Voyage en Italie en découvrant qu’il n’était pas « dans les habitudes du Maestro de tourner avec un scénario ». Philosophe, l’acteur admet : « Assurément, un moyen d’éviter d’avoir un mauvais scénario était de n’avoir pas de scénario du tout. » La prédilection de Rossellini pour la conduite de sa Ferrari, les grasses matinées et la plongée sous-marine plutôt que pour les contingences du tournage sert de prétexte à des pages savoureuses.
Marié à Zsa Zsa Gabor, George Sanders épousa plus tard et beaucoup plus brièvement (six semaines) l’une des sœurs de celle-ci, Magda. Ce genre de fantaisie et son humour masquaient une sourde mélancolie, des fêlures, la fatigue de vivre. Il se suicida le 25 avril 1972, non loin de Barcelone, avec un cocktail de somnifères et d’alcool. Sur l’un des mots qu’il laissa, Sanders écrivit : « Cher monde, je m’en vais parce que je m’ennuie. Je sens que j’ai vécu suffisamment longtemps. Je vous laisse à vos soucis dans cette charmante fosse d’aisance. Bonne chance. »
George Sanders, profession fripouille • Séguier