L’Opéra national du Capitole de Toulouse reprend la production de la saison 2006-2007, signée Nicolas Joël, pour quatre représentations, à partir du dimanche 26 février. Attention aux jours et aux heures. C’est avec une nouvelle distribution, et un nouveau chef dans la fosse, Frank Beermann, un habitué maintenant du Théâtre.
« Ni moi sans vous, ni vous sans moi », telle est la déclaration de Tristan à Yseut. Elle enflamme corps et esprit depuis près de neufs siècles. L’histoire des deux jeunes gens devenus amants malgré eux après avoir absorbé un philtre d’amour parcourt la littérature depuis le XIIè siècle. Mais donner Tristan et Isolde, cet opéra de Richard Wagner n’est pas une mince affaire. Pourtant, nombreux sont les amateurs honnêtes qui le retiennent dans leur Top 5 des ouvrages lyriques. Peut-être parce qu’au-delà de tout, il magnifie les grands thèmes de notre interrogation humaniste : la vie, l’amour, la mort. Et qu’on y chante si bien la mort ?
« C’est dans la Mort que l’Amour est le plus doux. Pour l’homme qui aime, la Mort est une nuit nuptiale. » Novalis
La musique étant un des trois piliers de tout opéra donné sur scène, et pas le moindre pour une œuvre de Wagner, lui-même disant de la musique de son Tristan que c’était là, « l’art le plus profond du silence sonore », le chef a donc une lourde responsabilité reposant sur ses épaules. Mais il peut abattre sur-le-champ, ici, une carte maîtresse : celle que constitue l’Orchestre disponible dans la fosse, celui de l’Opéra national du Capitole dont les éléments relèvent de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. Un orchestre de tout premier plan, capable d’affronter toutes les musiques et tous les répertoires sur instruments modernes. Toutes ses qualités ont déjà été éprouvées dans tous les Wagner donnés récemment, les Strauss, et Janacek, et compositeurs contemporains. Et un orchestre que Frank Beermann connaît bien : Rusalka (2022), Elektra (2021), Parsifal (2020), La Flûte enchantée (2021), Septième de Bruckner…
Dans un entretien accordé à notre ami Robert Penavayre, Nicolas Joël nous avait livrés : « J’ai le souvenir d’un spectacle dans lequel j’ai réussi à mettre sur scène des éléments qui m’ont toujours fasciné à l’audition de Tristan et que j’ai rarement vus sur scène, je parle des éléments de nature cosmique que j’entends autant dans la musique que dans le texte. Je veux parler plus particulièrement de la mer et de la nuit. Je trouve que ce spectacle donne à voir tout cela de façon moderne et convaincante à la fois.
D’ailleurs je tiens à souligner ici la prouesse technique des techniciens du Capitole pour ce premier acte, qui se passe sur une scène articulée entièrement mouvante à l’image des vagues. »
Evoquons – en partie – ce qui va se passer sur le plateau. Nicolas Joël nous ayant quitté, mais nous savons ce qu’il voulait dans sa production, c’est Émilie Delbée qui est chargée de faire respecter ses directives. Personnellement, dans cet opéra, étant beaucoup plus sensible à la musique qu’à tout ce qui peut bien se passer sur scène, me voilà rassuré en sachant que c’est cette très belle production qui nous revient à l’affiche, et sur laquelle je ne peux que citer ces quelques lignes de Laurent de Caunes, sous le titre : « Le désir d’un art total ». Un fort beau titre, n’est-ce pas ? Entre parenthèses, un certain Jacques Rivière de la Nouvelle Revue française écrivait en 1974 : « Il n’y a pas d’œuvre qui soit plus dépourvue d’espoir que Tristan; car elle n’exprime que le désir, qui est le contraire de l’espoir. A chaque mesure et dès la première, le désir. »
De Laurent de Caunes donc (16 mars 2007) : « Dès le programme de salle qu’il suffit d’ouvrir, il est aisé de comprendre à quel point la conception de ce spectacle s’inscrit dans la recherche, dans l’espoir, dans le désir d’un art total. Textes, illustrations, décors, gestes, costumes, musique orchestrale et chant se répondent et se correspondent au plus pur sens baudelairien. Au terme d’un long voyage, beauté, amour et néant se trouvent enfin réunis et offerts aux sens. »
(…) Au dernier acte, il n’y a plus de ciel, mais seulement un espace abstrait au milieu duquel se trouve en suspension dans l’air un rocher, concret et incongru comme un objet de Magritte ou un minéral de Max Ernst, rappel obsédant et désolant de la force de la matière et du point du destin. Et si le corps de Tristan finit écrasé, sous cette matière et par ce destin, l’âme d’Isolde, en robe rouge, semble leur échapper, tandis qu’à l’horizon, l’extase enfin atteinte, les voiles noirs du deuil se déchirent. (…) Cette vision saisissante résume à elle seule la puissance esthétique de cette mise en scène, par laquelle se trouve accompli l’acte impossible de représentation d’un monde spirituel.… »
Nous voilà bien réconfortés par avance de ce qui nous attend. Andreas Reinhardt signe les décors et costumes pendant que Vinicio Cheli crée les lumières dont l’importance est absolument cruciale si l’on a à l’esprit l’antagonisme symbolique du Jour et de la Nuit persistant à travers l’œuvre entière. La Nuit abrite la vérité d’au-delà. Jour ennemi, Nuit amie. Le texte et la musique charrient les images Jour-Nuit. Les personnages en sont « marqués ». Blanc éclatant du Jour, bleu profond de la Nuit.
De Richard Wagner, deux simples notes concernant la mise en scène : « …tout part du poème, tout aboutit à la musique… », et plus loin, …ne jamais permettre un seul instant, que le tableau scénique soit inexpressif. »
Un livret dont on ne peut se permettre d’ignorer qu’il est entièrement de la main de Richard Wagner, qui l’écrit, d’abord en prose, puis le versifie, et ensuite écrit la musique. D’aucuns vous diront qu’en écrivant un vers, il sait déjà les notes qu’il va plaquer dessus. C’est Wagner. « C’est une langue infiniment plastique : la poésie de Wagner n’est pas une peinture, c’est de la sculpture. » Nikolai Schukoff (Vivace)
« Car jusqu’à présent, Dieu a toujours jeté le don de poésie d’une main et celui de la musique de l’autre main – et ceci, à des êtres si éloignés l’un de l’autre que l’on attend encore l’homme qui saura à la fois composer le livret et la musique d’un véritable opéra. » Jean-Paul (Jean-Paul Richter) – philosophe et poète allemand – lignes écrites en 1813, année même de la naissance de Richard Wagner. Le vœu de JP est donc exaucé.
Dans une lettre à Franz Liszt, son futur gendre, plus âgé que lui ! Wagner écrit en 1854, le 16 décembre : « Comme dans mon existence je n’ai jamais goûté dans sa perfection le véritable bonheur que donne l’amour, je veux élever à ce rêve, le plus beau de tous, un monument dans lequel cet amour se satisfera largement d’un bout à l’autre. J’ai ébauché dans ma tête un Tristan et Iseult (Isolde en allemand). C’est la composition la plus simple, mais la plus franchement et absolument musicale où déborde la vie la plus intense. Et dans les plis du noir pavillon qui flotte au dénouement, je veux m’envelopper et mourir. »
Synopsis ou Argument – Quelques éléments
« Éros, Éros, tu verses goutte à goutte le désir dans les yeux, les délices {pathon} dans l’âme sur qui va fondre ton attaque. Euripide, Hippolyte,
La création n’eut lieu qu’en 1865, à Munich, grâce à un certain Louis II de Bavière, mécène que tout un chacun se souhaiterait. Tristan et Isolde étaient le couple mythique ci-dessous en photo. Lui, ne fera que quatre représentations. Il meurt d’un refroidissement contacté durant… l’acte III.
Nikolai Schukoff Tristan
Sophie Koch Isolde
Anaïk Morel Brangaene
Pierre-Yves Pruvot Kurwenal
Matthias Goerne Le Roi Marke
Damien Gastl Melot
Valentin Thill Un Berger / Un jeune Matelot
Matthieu Toulouse Le Pilote
Chœur de l’Opéra national du Capitole Chef de Chœur Gabriel Bourgoin
Orchestre national du Capitole
Le Tristan a déjà été applaudi sur la scène du Capitole dans Parsifal, rôle-titre et dans le rôle du Tambour-major dans Wozzeck et dans Pedro de Tiefland tandis que son Isolde, est une habituée du Théâtre du Capitole. Citons simplement Marie dans Wozzeck et Kundry dans Parsifal, prise de rôle époustouflante à chaque fois et on attend avec la même excitation celle-ci dans Isolde, tout comme son Tristan. Brangaene, interprété par Anaïk Morel qui était le Compositeur dans le dernier Ariane à Naxos tandis que Kurnewal, l’ami fidèle, c’est pour Pierre-Yves Pruvot, rôle antithèse de celui de Klinsor du Parsifal ou du Barnaba de La Gioconda. On est impatient d’entendre dans le roi Marke, le baryton-basse Matthias Goerne, après son Oreste dans Elektra et surtout l’Amfortas du Parsifal. Valentin Thill était bien à l’affiche ici même dans l’Elektra et en suivant dans La Flûte enchantée. Je crois bien que ce ne sont que…des prises de rôle. Christophe Ghristi est un joueur !!
Quant au Chœur de l’Opéra national du Capitole, nous sommes pleinement rassurés car ils …assurent, comme à l’habitude !! leur Directeur veille.
Autour de Tristan et Isolde : On n’oublie pas toutes les manifestations qui accompagnent chaque production. Renseignez-vous.
Richard Wagner est un puits de culture sans fond. Il semble avoir lu toutes les légendes de toutes les contrées, de Beroul à Thomas d’Angleterre, en passant par Marie de France, Eilhart d’Oberg, de Dante à Walter Scott,… Ici, il part de la légende celtique, ce conte « d’amour et de mort » ; nous sommes à la fin du XIIè siècle. Pour faire simple, tout part d’un cheveu d’or que le roi Marke, roi de la Cornouaille insulaire, a aperçu sur le bord de sa fenêtre apporté par une hirondelle. Paroles en l’air, galéjade, il promet à son entourage d’épouser la personne à qui il appartient.
C’est là que son neveu, qu’il élève, Tristan, orphelin de sa sœur, a reconnu le cheveu en question. Et comment donc ? Il appartient à Iseut, nièce de Morholt, le géant d’Irlande. Quel coup d’œil. Ce géant qu’il a défié il y a peu et tué, mais fut lui-même blessé par le fer empoisonné de son ennemi. Une seule personne possède les onguents pour le guérir, ce que nous appellerons des antidotes !! C’est, devinez qui ? la belle Iseut aux cheveux d’or. Iseut qui, à l’examen de la blessure de Tristan arrivé en barque, a reconnu l’arme en cause, celle de son oncle, frère de sa propre mère, et aussi fiancé, tué. Au lieu de se venger, c’était bien commode, la malheureuse tombe amoureuse de son patient, et le soigne. Un seul regard a suffi. Ce dernier, guéri, est reparti en Cornouaille, mais en emportant la vision des cheveux d’or, et lui aussi prisonnier du regard de sa guérisseuse. Sachons qu’ils sont donc prisonniers, déjà, l’un de l’autre.
Who ever lov’d, that lov’d not at first sight ?
Qui n’a jamais aimé, s’il n’aima au premier regard ?
W. Shakespeare – As you like it, III, 5
Très important, ils n’ont pas attendu le philtre pour “tomber“ amoureux l‘un de l’autre, le fameux philtre qui, échangé volontairement par Brangäne, n’est donc pas le philtre de mort à consommer en cas de sacrilège ou autre. C’est le philtre d’amour préparé par la maman d’Iseut. Sa fille devra le boire avec son futur mari le roi Marke, pour qu’ils s’aiment tous deux, enfin, que leur amour soit un peu stimulé.
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