C’est dans une coproduction entre le Palazzetto Bru Zane et l’Orchestre national du Capitole de Toulouse que la version originale de 1866 de cette Vie parisienne telle que Jacques Offenbach en rêvait a été donnée à la Halle aux grains de Toulouse…en version concert.
La Halle aux grains n’a pas trop l’habitude de retenir son public au-delà de 22h. En ce 12 janvier 2023 c’est pourtant à 23h30 que près de 2000 personnes ont quitté ce haut lieu de la musique toulousain. Coupable, la version originale en 5 actes de La Vie parisienne du plus français des musiciens allemands : Jacques Offenbach.
Cette « nouvelle » partition, dépassant largement celle qu’il est coutumier d’entendre, est due au travail musicologique du Centre de musique romantique française Le Palazzetto Bru Zane, et plus particulièrement de celui de son directeur artistique Alexandre Dratwicki. A la suite de longues recherches, il a mis à jour la partition écrite initialement par Jacques Offenbach mais à laquelle les moyens artistiques du théâtre du Palais Royal qui lui a passé commande de l’ouvrage ne peuvent à l’évidence pas faire face. Coupures importantes et révision de la partition aboutirent donc à ce que nous entendions depuis un siècle et demi. Ce qui nous est aujourd’hui proposé rend pleinement justice à l’appellation opéra-bouffe souhaitée pour cet ouvrage par le compositeur. Deux actes en plus, des airs, des duos, des trios, des ensembles, des interludes, tout un monde nouveau nous est révélé. On se souviendra longtemps du choc reçu avec le finale du 1er acte dit de la…bouillabaisse, ou encore de l’inénarrable trio patriotique, sans oublier, entre autres surprises ce magnifique prélude du dernier acte. Dire que l’esprit satirique et jouisseur offenbachien irrigue torrentiellement cette partition révélée est un euphémisme tant les quiproquos, l’éternel triangle amoureux et autres déguisements font florès, soutenus par une musique pétillante, pleine de rythmes d’une folle énergie.
Sur scène, pour raison d’enregistrement, l’Orchestre et le Chœur (direction Gabriel Bourgoin) de l’Opéra national du Capitole sont placés sous la baguette vive et attentive de Romain Dumas, habile à faire surgir des crescendos que n’aurait pas reniés Rossini. Avouons tout de même que la forme « concert » constitue un handicap quasiment rédhibitoire pour apprécier une tel feu d’artifice vaudevillesque.
Les chanteurs tentent l’impossible pour donner corps à l’action, mais il faut reconnaître que l’exercice est difficile, même si Gondremark se retrouve la chemise hors du pantalon et la cravate sur le front. Exercice d’autant plus délicat que certains rôles sont tenus par le même interprète qui d’un instant à l’autre change de personnage. Au public de faire le point, si tant est…
C’est ainsi que l’excellent Pierre Derhet endosse, et comment, la partition du Brésilien mais aussi celle de Gontran et de Frick. Le non moins épatant Philippe Estèphe offre son baryton à Urbain et Alfred et Carl Ghazarossian nous gratifie d’impeccables Joseph, Alphonse et Prosper! Elena Galitskaya est une Pauline au soprano de velours, Anne Catherine Gillet se montre une explosive Gabrielle, sensuelle en gantière dont elle pare le chant d’une voix ample, souple et musicalement conduite. Une Gabrielle de luxe ovationnée au salut final. Si Artavazd Sargsyan est une Gardefeu un brin en retrait, par contre le Bobinet de Marc Mauillon met le feu à la Halle par son timbre percutant, un organe parfaitement conduit et un jeu scénique qui fit éclater de nombreux rires. Jérôme Boutillier est le Gondremark que l’on attendait du fait de son imposante stature et de son baryton dont on sait bien que les possibilités vont bien au-delà de ce rôle. Sa Baronne est la soprano Sandrine Buendia, parfaite de musicalité. Mme de Quimper-Karadec est l’impressionnante Marie Gautrot, se lâchant complétement dans ses imprécations précédées à l’orchestre du thème mozartien haut en signification du Commandeur. Clara (Louise Pingeot), Bertha (Marie Kalinine) et Mme de Folle-Verdure (Caroline Meng) complètent avec aplomb et bonheur cette distribution. Sans oublier l’imposante, autant par la stature que par la voix, l’immense Véronique Gens en luxueuse Métella, grandiose de phrasé et d’autorité vocale.
Une belle révélation qui ne prendra sa vraie dimension qu’une fois revêtue des apparats de la scène.
Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole