Cette Vie parisienne, dont une première version en 5 actes vit le jour en 1866, suivie d’une en 4 actes en 1873, est un opéra-bouffe signé du plus français des compositeurs allemands : Jacques Offenbach. Une œuvre dont nous connaissons toutes les mélodies et couplets par cœur. Si l’ouvrage n’a jamais connu sur la scène toulousaine le même rythme effréné de programmation que La Veuve joyeuse de Franz Lehár, il n’en figure pas moins au répertoire dit d’opérette de cette institution. Sous la direction musicologique d‘Alexandre Dratwicki, le Palazzetto Bru Zane a décidé de nous faire revoir ce grand classique.
Classictoulouse : Quelles sont vos responsabilités au sein du Palazzetto Bru Zane ?
Alexandre Dratwicki : J’en suis le directeur artistique, ce qui me donne comme mission de mettre en œuvre, avec la collaboration de mes collègues, les décisions de programmation de notre comité d’orientation de la manière la plus qualitative possible : variété et équilibre des événements, pertinence des distributions, respect de l’approche stylistique, accompagnement du travail des artistes pour les aider à donner le meilleur d’eux-mêmes.
Au travers des multiples œuvres lyriques de Jacques Offenbach, vous vous êtes penché plus particulièrement sur La Vie parisienne. Pourquoi et depuis quand ?
Alexandre Dratwicki : Tout est parti d’une boutade : « Si vous pouviez nous trouver une Vie parisienne originale et inédite, il y aurait moyen de sensibiliser encore davantage de partenaires et de public à notre mission ». Aussitôt dit, aussitôt fait, notre directeur des éditions musicales – Sébastien Troester – s’est plongé dans les archives de l’œuvre en faisant fi des histoires déjà écrites. Cette remontée aux sources de la partition et du livret a été plus que fructueuse. La boutade est alors devenue réalité, et notre collègue Sébastien a pu accrocher une médaille supplémentaire à son gilet déjà bien garni.
Quel a été le champ de vos recherches ?
Alexandre Dratwicki : Les archives du Théâtre du Palais-Royal se sont perdues dans les méandres du département des Arts du Spectacle de la Bibliothèque Nationale de France. Notamment parce qu’elles avaient été absorbées d’abord par le Théâtre des Variétés. Ce sont dans ces boîtes soigneusement conservées mais longtemps peu ou mal cataloguées que dormaient les sources de la « première » Vie parisienne. Celle qu’Offenbach avait imaginée à l’été 1866, avant que de sombres raisons ne l’obligent à revoir sa copie. Notre directeur de la recherche et des publications – Étienne Jardin – a parallèlement mené un travail aux Archives nationales pour retrouver les livrets d’origines, tels que déposés au bureau de la censure. Il a aussi fait d’intéressantes découvertes dans la correspondance de Labiche et les carnets personnels d’Halévy. Et il a rassemblé un grand nombre d’articles de presse commentant la création de 1866 qui en disent long sur le contexte historique et politique.
Pourquoi la partition originale a-t-elle été ainsi réduite ?
Alexandre Dratwicki : Parmi le faisceau complexes des motivations de la réécriture, le principal est le talent très – trop – modeste de quelques-uns des artistes de la création. Rappelons que le Palais-Royal n’est pas un théâtre lyrique. On y chante des vaudevilles mais rien de bien compliqué, et certainement pas des finales d’acte à 6 ou 7 personnages et chœur. Jusqu’au bout, Offenbach a voulu aider certains artistes à se tirer de leurs problèmes techniques et solfégiques, par exemple le chanteur chargé du rôle d’Urbain, dont la partition personnelle montre trois niveaux de simplifications successives, mais sans résultat positif semble-t-il. À la hâte, Offenbach réécrit les actes 4 et 5 et modifie considérablement les actes précédents. À regret, nous en sommes persuadés. Ces modifications ont stoppé net le travail d’orchestration de certains numéros, qu’il a donc fallu instrumenter « à la manière de ». Ce fut un travail immense – plus d’une année – et nous avons heureusement pu compter sur l’organisation méticuleuse de notre collègue éditrice Marie Humbert pour coordonner la synthèse et la gravure de ces orchestrations et harmonisations au fur et à mesure de leurs livraisons. Je dois aussi mentionner l’apport déterminant de Jean-Emmanuel Filet dans le travail de relecture et pour ses précieux conseils d’orchestration.
Qu’allons-nous entendre de nouveau ?
Alexandre Dratwicki : L’acte 4 dans son intégralité. Et aussi – ce n’est pas peu de chose – tout le final de l’acte 3, une partie du final de l’acte 2 (avec un truculent hymne à la bouillabaisse !). Et puis, toutes les 10 ou 15 minutes, apparaîtront des morceaux inédits : un virtuose « Trio diplomatique », un amusant « Quintette de la séduction », une étonnante « Chanson de la balayeuse », une version absolument méconnue du « Triolet de Gardefeu », etc.
Qu’apportent à l’ouvrage ces pages disparues tant d’un point de vue musical que dramatique ?
Alexandre Dratwicki : Ce sont bien sûr les morceaux les plus difficiles qui ont dû être supprimés à cause des compétences limitées de plusieurs artistes de la création. Retrouver cette musique – peut-être bien la plus intéressante – permet de revaloriser la Vie parisienne, qui, dans sa version connue, passe pour une succession de couplets sympathiques mais moins aboutis que la musique de la Belle Hélène ou de la Grande Duchesse de Gérolstein. Or Offenbach n’avait originellement pas revu ses ambitions à la baisse. Dramatiquement, ces morceaux d’ensemble offrent évidemment des tableaux plus excitants pour l’œil et pour l’oreille, et rompent avec la succession d’airs que l’on connaît. Enfin, pour le public qui connaît bien la version célèbre, il y a l’amusement d’être tenu en haleine par l’arrivée inopinée de ces pages improbables et – je crois – extrêmement réussies.
Le profil de certains rôles s’en trouve-t-il changé ?
Alexandre Dratwicki : Les petits rôles sont revalorisés, en particulier Urbain qui n’est plus seulement une utilité sans relief. Nous avons d’ailleurs la chance que le baryton Philippe Estèphe ajoute encore à l’intérêt du personnage en lui prêtant son talent. Même chose pour Prosper. L’acte 4 fait, quant à lui, la part belle à Mme de Quimper-Karadec, duègne acariâtre mais encore portée sur « la chose », qui devient alors l’un des personnages les plus truculents de cette Vie parisienne. À préciser aussi que les quatre femmes de chambre – Pauline, Louise, Clara, Léonie – retrouvent leur visage premier : elles ne sont que 3 (Pauline, Clara et Bertha) dans le livret originel de Meilhac et Halévy, et dans la partition d’abord écrite par Offenbach.
Dans le corpus de ce musicien, quelle place accordez-vous à La Vie parisienne ?
Alexandre Dratwicki : C’est clairement l’un de ses meilleurs ouvrages, et le seul où il moque ouvertement et sans métaphore le Paris de son temps. Et peut-être bien le Paris de tous les temps, d’ailleurs !
Quelles œuvres vont-elles dans un avenir proche bénéficier de vos recherches ?
Alexandre Dratwicki : Notre intérêt pour Offenbach s’est transmué en passion. Nous le devons à des chercheurs pionniers comme Jean-Claude Yon. Beaucoup reste à faire et nous allons apporter notre pierre à l’édifice. Mais pour le moment, à peine cette Vie parisienne toulousaine enregistrée, nous prendrons nos baluchons et partirons pour Munich puis Budapest pour servir une autre cause pleine d’intérêt : celle de Jules Massenet. Dans les grandes familles, il ne faut jamais privilégier l’un au détriment des autres !
Propos recueillis par Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
Enregistrement
Les phalanges chorales et musicales de l’Opéra national du Capitole seront conduites par le chef d’orchestre nouméen Romain Dumas. La distribution, nombreuse, est essentiellement composée d’artistes francophones. Les 19 rôles de l’œuvre seront interprétés par 14 solistes. Honneur aux dames : Anne-Catherine Gillet, Sandrine Buendia, Véronique Gens, Elena Galitskaya, Marie Gautrot, Louise Pingeot, Marie Kalinine et Caroline Meng. Côté messieurs, ce n’est pas mal non plus : Artavazd Sargsyan, Marc Mauillon, Jérôme Boutillier, Pierre Derhet, Philippe Estèphe et Carl Ghazarossian !
> Et voilà La Vie parisienne !!
Orchestre national du Capitole