Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Délivrance de John Boorman
En 1967, le cinéaste britannique John Boorman signait aux Etats-Unis un film noir totalement singulier, Le Point de non-retour, d’après un roman de Richard Stark (alias Donald Westlake), passant les codes du polar au filtre d’une inspiration très européenne : narration éclatée, esthétique mariant psychédélisme et abstraction… Cinq ans plus tard, toujours à Hollywood, il posait en quelque sorte les bases d’un nouveau genre : le film de survie. En l’occurrence, des citadins qui vont affronter une nature aussi hostile que les autochtones qui la hantent. Le temps d’un week-end, Lewis, Ed, Bobby et Drew ont décidé de descendre en canoë une rivière sauvage, rejoignant la Géorgie, avant qu’elle ne soit engloutie par la construction d’un barrage. Le premier contact avec les habitants du cru, vivant dans des cabanes insalubres et au sein desquels la consanguinité semble avoir fait des ravages, n’est guère encourageant malgré une partie de guitare / banjo improvisée par Drew avec un gamin autiste. Peu importe, le quatuor embarque à bord de deux canoës.
Délivrance met en scène quatre personnages archétypaux. Lewis, tous muscles dehors et as du tir à l’arc, est le mâle dominant, le chef naturel du groupe. Ed représente l’homme ordinaire, Drew l’intellectuel et Bobby le maillon faible vite baptisé « le gros » par Lewis. Des petites tensions apparaissent entre eux, mais c’est la rencontre de Bobby et de Ed avec deux chasseurs qui va faire basculer l’excursion dans le cauchemar.
Séquences cultes
Pour ces personnages, Boorman a choisi des acteurs impeccables : Jon Voight (vu dans Macadam Cowboy, Oscar du meilleur film en 1969), Burt Reynolds (qui verra sa carrière décoller grâce à Délivrance), Ned Beatty et Ronny Cox. On n’oublie pas Bill McKinney et Herbet « Cowboy » Coward, effrayants en rednecks dégénérés et pervers, ni les « trognes » de la petite communauté installée en amont de la rivière. Cette adaptation du roman éponyme de William Dickey (également scénariste et qui apparaît dans le rôle du shérif) regorge de séquences devenues cultes comme le « Dueling Banjos » (thème musical du film) du début, le viol de Bobby contraint de simuler le cri d’un cochon ou la descente des cascades en canoë.
John Boorman fait des merveilles avec la profondeur de champ, le grand chef opérateur Vilmos Zsigmond déploie toutes les nuances de vert et de bleu pour magnifier ou rendre inquiétants les paysages. Délivrance porte à leur paroxysme les peurs primales et l’instinct de survie, montre à quel point la civilisation n’est qu’un mince vernis. Portrait en contrepoint d’une Amérique en crise qui doute d’elle-même et de ses valeurs, le film offre la vision d’un monde où rien n’est stable (même les églises et les cimetières sont déplacés) et où le progrès avance inexorablement quitte à outrager la nature et à laisser la violence régner en maître. Une œuvre visionnaire donc.
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