Mort au peuple, par Marc Obregon
Les thrillers futuristes, remplis de technologie, d’ésotérisme et d’anticipation géopolitique, ont leurs amateurs. Je n’en fais pas partie ; pourtant, Mort au peuple, de Marc Obregon, qui contient un peu tout cela, m’a captivée de bout en bout, et de plus en plus à mesure que le roman progressait. Il y avait même longtemps que je n’avais lu un roman aussi prenant, ni d’ailleurs aussi violent.
Un héros déclassé et complotiste
Nous sommes en 2039, dans une France où, à quatre-vingt-quinze ans, Pierre Arditi ne se résigne pas à quitter les planches et où Abdellatif Kechiche est ministre de la Culture. Le héros, qui n’a pas de nom, est né à Arcueil, au début des années quatre-vingt-dix. Il a vécu avec sa mère dans une des barres HLM d’un quartier pauvre. Petit-blanc, il est le produit du déclassement social et de la technologie, de la frustration et des délires complotistes. Rapidement orphelin, il arrête des études qui ne le mènent à rien, et finit par travailler en intérim.
Là, il rencontre Ifiq, un jeune homme d’origine iranienne, puis sa sœur – Zayneb, « une mante à peine religieuse ». Au cours d’une opération de désamiantage, Ifiq découvre dans un faux plafond une trappe qui conduit dans une pièce, qui s’appellera désormais “La Chambre du Roi” – ce qu’elle contient, que nous ne dévoilerons pas, va décider du destin du personnage principal. Après cette découverte, Ifiq introduira le héros dans un groupe, “Les Précesseurs”, une sorte de secte musulmane. Il y croisera une jeune fille dont l’image va l’obséder, Calixte d’Harcourt ; la frustration sexuelle joue d’ailleurs un rôle crucial dans la psychologie du protagoniste.
Une intrigue inattendue et fatale
Mais, comme on dit, rien ne se passera comme prévu : le réel et son simulacre se révéleront plus pervers qu’on ne l’aurait cru. Alors que tout, depuis le début, semble pousser le héros vers le meurtre de masse, qui pourrait avoir lieu au cours d’un vernissage au Palais de Tokyo (on découvrira, à l’occasion, ce qu’est devenue la plasticienne Sophie Calle), le récit rebondit, propose une fin à double ou triple fond, aux retournements inattendus et cohérents.
Marc Obregon réussit là où les derniers romans de Maurice G. Dantec échouaient ; la langue utilisée, riche, imagée, paroxystique, parvient à rendre palpables la colère, la paranoïa, les délires du héros, en amalgamant des éléments à première vue contradictoires : le vocabulaire technologique et les archaïsmes, la raison et le complot, la modernité et la gnose (à laquelle le lecteur peut, comme moi, ne rien comprendre sans entamer le plaisir de sa lecture). L’ensemble donne un roman eschatologique, où l’avenir, plus ironique encore, et plus sombre, qu’on aurait pu le redouter, était, dès les premières pages, imprévisible et fatal.
Mort au peuple – Nouvelle Marge