Le Grenier de Toulouse proposera la pièce « Ubu Roi » à L’Escale de Tournefeuille, du 16 au 31 décembre. Imaginée par Alfred Jarry à la fin du XIXème siècle, l’œuvre était en avance sur son temps. Elle en a d’ailleurs étonné plus d’un par son style surréaliste. Dans la proposition toulousaine moderne, Pierre Matras est à la mise en scène avec Stéphane Batlle et tient le rôle principal, celui d’Ubu. Il nous en dit plus sur la pièce et sur son personnage.
Culture 31 : « Ubu Roi » a été représenté pour la première fois en 1896. Qu’est ce qui vous a donné envie de proposer la pièce au public en 2022 ?
Pierre Matras : Elle est malheureusement d’une immense actualité puisqu’il s’agit d’une farce autour du totalitarisme et de l’autoritarisme. Il est en effet question d’une prise de pouvoir par un dictateur. C’est donc – malheureusement encore – universel. Et comme le sujet est traité de façon comique, c’est un angle un peu original pour en parler.
La pièce fait partie des œuvres précurseuses du théâtre de l’absurde. Cette rupture avec les genres classiques apporte-t-elle aussi plus de liberté dans sa réinterprétation actuelle ?
« Liberté » est le bon mot. C’est une telle farce que ça nous offre la possibilité de nous évader un peu de l’œuvre pour mieux y revenir. Ça nous permet par exemple de faire des petits rajouts ; des références à d’autres œuvres, de la musique, de la folie, de la joie. On est très libre à l’intérieur de cette pièce.
Le Grenier de Toulouse précise justement se permettre « toutes les fantaisies baroques possibles et inimaginables pour mettre en valeur la folie furieuse de ce jeu de marionnettes humaines » dans le résumé. Est-il donc question de ces rajouts ?
Oui, c’est exactement ça. On cherche, puis tout à coup quelqu’un à une idée folle. Alors on improvise. Puis on ajoute du texte, de la musique, du chant… On rajoute finalement beaucoup de choses, avec un décor qui nous permet ces choses, et donc de s’amuser. Car le décor n’est pas concret, il est complètement abstrait. On passe d’un palais à la montagne sans avoir à le changer.
Il est vrai que la pièce originale compte de nombreux décors : le palais royal, la maison d’Ubu, les grottes, la forêt… Avez-vous eu des difficultés de mise en scène dues à ces différents changements de cadre ?
Non, parce qu’une fois notre décor trouvé – un immense échafaudage de travaux – toutes les fantaisies étaient permises. D’abord, on est sur l’échafaudage, donc sur le balcon du palais. Tout à coup, on est sur le deuxième étage de l’échafaudage, alors on est sur la montagne. Ensuite, on est en bas, donc dans les rues. Puis, sous l’échafaudage, on est dans des grottes. On essaye de faire marcher notre imaginaire pendant les répétitions. Ensuite on va essayer de solliciter celui du public.
Quelle place tiendront les costumes dans la pièce ?
Ce seront de très beaux costumes, comme nous sommes censés être en Pologne, en hiver. Malheureusement, on va mourir de chaud ! (Rires). Nous allons garder certains éléments modernes comme les chaussures et les pantalons. Mais il y a peu de comédiens ; nous sommes huit, et il y a plein de personnages. Donc, quand on enfile une veste en fourrure, une cape, ou encore un chapeau avec un pourpoint, nous changeons de personnage. Tous ces costumes sont sur scène sur des pendrillons et il n’y a qu’à se servir pour s’amuser à devenir untel ou untel personnage.
En parlant de personnages, Ubu est l’incarnation même de nombreux vices tels que la cupidité, la lâcheté ou encore la naïveté. Fait-on face à des difficultés de jeu particulières lorsque l’on interprète un tel personnage ?
Il y a bien sûr des difficultés, mais interpréter un personnage aussi horrible, bête, égoïste, avare et malfaisant, c’est extrêmement jouissif, parce qu’on peut vraiment s’amuser. Après, il peut être difficile de trouver le bon dosage, mais c’est tellement réjouissant de s’amuser comme des sales gosses. Car Ubu Roi est vraiment un sale gosse. Un sale gosse qui n’a même pas envie, au début, d’être roi. Il est poussé par sa femme. Malheureusement, elle crée un monstre. Elle, elle veut juste être reine, car elle est très autoritaire, très ambitieuse. Donc elle fait en sorte de mettre son mari à la tête de l’État, ce qui va commencer à lui plaire. Il va finir complètement fou et vouloir tuer tout le monde et récupérer leur argent. Le personnage d’Ubu, l’homme, est odieux mais tellement amusant. Il est si stupide et monstrueux que c’en est drôle.
C’est finalement une figure aussi tragique que comique.
Oui parce qu’il fait peur ! Il torture mais il est naïf. C’est comme un enfant : « ce jouet est à moi, je le prends ». Il ne comprend pas ce que c’est que de vivre en société. « Autrui » est un concept qui le dépasse totalement.
La nécessité de respecter autrui, est-ce le message de la pièce ?
Le message, c’est ce que les gens prennent. Nous dépeignons l’arrivée au pouvoir d’une personne malfaisante et autoritaire, ainsi que ce qui va lui arriver. De ça, les gens prennent ce qu’ils veulent, ils picorent. Il y a des messages à droite à gauche, mais ce n’est pas à nous de donner des leçons. C’est une œuvre qui pose des questions, et on ne fait que les poser, on n’y répond pas.
Quel argument imparable avanceriez-vous pour convaincre le public de venir voir « Ubu Roi » ?
C’est une grande farce remplie de liberté et de folie, et ça fait du bien à notre époque.
Propos recueillis par Inès Desnot