Les Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse présentent une exposition dédiée à l’artiste peintre et sculptrice franco-américaine Niki de Saint-Phalle. Elle se tient du 7 octobre au 5 mars 2023. Pour la première fois, cette exposition est consacrée aux années 80 et 90 de l’artiste iconoclaste . Elle rassemble près de deux cents œuvres ainsi que des photographies et des archives. Impossible de la rater.
« J’aime le rond. J’aime le rond, les courbes, l’ondulation, le monde est rond, le monde est sein. » Niki de Saint-Phalle.
L’œuvre de Niki de Saint-Phalle porte l’empreinte de sa vie. Petite fille à la conquête du monde, son univers onirique traduit bien la place dévolue au rêve et à l’art : au centre de la vie.
Transcendant l’aspect privé de son œuvre pour en faire un témoignage de son temps, l’enchantement qui s’en dégage abrite tout un bestiaire terrifiant ou merveilleux, revisitant mythes et légendes. Unissant l’ombre et la lumière, entremêlant le féminin et le masculin, l’artiste part du singulier au collectif. Son monde imaginaire touche d’autant plus que son art est destiné aux espaces publics.
Artiste inclassable et prolifique, elle aura débuté par la peinture à l’huile dont les sujets appartiennent déjà à un répertoire d’images inconscientes. Leurs couleurs, leurs styles portaient une véhémence et une maladresse qui regardaient du côté de l’art brut. Œuvre vigoureuse et colorée, souvent monumentale et, parfois habitable, mais oui, elle utilise avec un égal bonheur la peinture, la sculpture et l’architecture, en passant par le théâtre, mais aussi le cinéma, les bijoux et même un parfum, le parfum qui va servir à lui financer cette gigantesque création que constitue le Jardin des Tarots.
On perçoit dans ces premiers travaux des motifs et caractéristiques structurelles qui, s’ils apparaissent ponctuellement, domineront toute son œuvre par la suite. Ainsi, des dragons, des figures féminines corpulentes, des outils d’agression (couteaux, revolvers, haches, …) surgissent sur des champs saturés de couleurs, faisant jouer le contour de la ligne sur le fond.
Passons sur la période Tirs, le groupe d’œuvres des Mariées, sur celles des Vénus, toute cette période de révolution contre les hommes et le béton. Ses Nanas représenteront bien cette réconciliation entre la féminité et la vie, en vue du bonheur et de la liberté d’être. Par son travail, Niki bannit les stéréotypes et imagine de nouvelles perspectives pour la femme. Avec elles, elle aborde le théâtre, un théâtre où elle déploie ses multiples facettes de : costumière, scénographe et metteur en scène. Celle qui ne s’est jamais battue contre mais toujours pour, donne naissance à sa propre condition de femme, artiste ; artiste-femme libre d’une recherche esthétique qui lui est propre.
Elle prévoit, dès lors, la dialectique de la naissance d’un nouveau monde. Elle le trouve dans son “atelier“ expérimental dont la seule dimension serait la démesure : son Jardin des Tarots en Toscane, qui lui permet l’emploi du monumental. Espace symbolique et méditatif, ce point de rencontre entre l’homme et la nature lui fut inspiré par le Jardin de Güell de Gaudi qu’elle visita en 1955 à Barcelone. Rencontre avec Gaudi dont elle dira plus tard : « Ce jour-là, j’ai rencontré mon maître et ma destinée. »
Quelques mots sur le parcours nécessaire de cette exposition très fournie, due au travail de la Commissaire indépendante Lucia Pesapane, à Annabelle Ténèze, Conservatrice en chef et Directrice du Lieu et à la scénographie de Pascal Rodriguez. Les salles et la nef du rez-de-chaussée sont investies et vous n’oublierez surtout pas le sous-sol. Et non plus l’esplanade Daniel Cordier devant l’entrée.
Nef et esplanade sont occupées par des œuvres monumentales qui correspondent à des projets publics. Une que la plupart d’entre vous connaissent est absente, et pour cause : c’est la fontaine Igor Stravinsky à côté du centre Beaubourg, réalisée avec son compagnon Jean Tinguely dont une œuvre est présente au sous-sol et que vous vous devez d’admirer tout en tournant autour !
Suivant les salles, et en n’oubliant pas de lire sur les murs les commentaires fournis, vous pourrez vous attarder sur la création de son unique parfum envisagée pour, la cheffe d’entreprise est bien là, récupérer des fonds afin de pouvoir réaliser son rêve, en l’occurrence le fameux Jardin des Tarots, une folie à rapprocher de celles d’un facteur Cheval ou d’un Gaudi en Espagne avec son Parc Güell, venant après celle de 1966, la renommée et gigantesque nana de 28 mètres de long, HON – Elle – Cathédrale, stupéfiante réalisation éphémère ( voir mon premier article). En passant, vous remarquerez que Niki semble comme hypnotisée par un animal résumé en un mot : le serpent. Il n’est pas partout mais là, bien souvent !
Niki de Saint-Phalle se signale aussi par un type de sculpture sorti de son propre imaginaire, une sculpture dite de contours qui lui permet de passer des nanas redondantes aux structures filiformes. Une cure d’amaigrissement conduisant à des vides qu’elle se charge d’occuper. Ce sont les fameuses Skinnies. Cette invention serait en rapport avec les problèmes de santé conséquents qu’elle devait surmonter au quotidien et affectant depuis toujours son système pulmonaire. De l’air, de l’air semblent lui crier à l’oreille ces Skinnies.
Le chantier des vingt dernières années, ce fut bien ce jardin de sculptures monumentales en Italie, à Capalbio, le Jardin des Tarots, lieu d’art et lieu de vie puisqu’elle occupera sur place un appartement lui permettant de mieux diriger le chantier ! Ce jardin, invraisemblable, est, disons-le, indescriptible ! Ce laboratoire récréatif voit se mêler à l’échelle du paysage, fragments de céramique, tessons de mosaïque, de verre et de miroir. Tous ces éléments seront à l’origine d’un bestiaire fantastique devenant objets du quotidien. Art et artisanat s’entremêlent avec une cheffe qui encourage en permanence tous ses collaborateurs, les entraînant dans un travail collectif où l’esprit et la main ne font qu’un.
Mais l’artiste vit sa vie comme un plein temps et même davantage. Féministe précoce, elle est aussi marquée par l’effroyable épisode d’un inceste paternel, montant à l’assaut contre ce drame. Tout comme elle sera de toutes les luttes contre le fléau que constitue alors le SIDA dans les années 80 et début 90, fléau qui frappe allègrement autour d’elle. Elle complète ses multiples modes d’action par des réalisations d’œuvres diverses pour trouver des fonds mais aussi pour la participation à la prévention. En même temps, elle crée toujours et trouve le temps pour élargir sa gamme de mobilier d’artiste. Ce seront, fauteuils, tables, miroirs, vases chandeliers, …
Le sous-sol est baptisé Kaléidoscopes : jeux de miroirs / Espace créatif. Les miroirs, c’est une réminiscence des nombreux qui occupaient sa maison d’enfance. Ils sont ici fragmentés et donc, déterminent la fragmentation de la lumière, qui fascine l’artiste. Plus encore avec les jeux de lumière dans les tessons de bouteille. Deux créations monumentales en mosaïque de miroirs sont présentes au côté d’un espace de médiation ouvert, destiné au Jeune Public. Mais n’oublions pas un magnifique Méta Matics de Jean Tinguely, le pionnier de la technologie inutile qui allie ici sa ferraille musicale aux milliers de miroirs fracassés de sa compagne.
Une expo vraiment passionnante qui vous obligera sûrement à y revenir de par sa richesse.