Grâce à l’association Musique au Palais, les mélomanes de la région toulousaine ont pu assister à un nouveau week-end musical original et particulièrement riche au cœur de la Ville rose. Un lieu magique, le fameux Palais Niel, ouvrait une fois encore ses portes à la musique de chambre. Les samedi 19 et dimanche 20 novembre, un public nombreux et heureux a ainsi pu assister à pas moins de six concerts dans le grand salon du Palais Niel, QG de l’armée de Terre et siège de la 11ème brigade parachutiste, au cœur de la ville.
Pour sa 7ème édition, le festival Musique au Palais réunit des artistes professionnels confirmés, des grands amateurs et de jeunes talents à découvrir qui se produisent dans le cadre magnifique et à l’acoustique exceptionnelle de ce grand salon à la fois mythique et convivial.
Ainsi que le proclame Serge Krichewsky, le Directeur artistique de la manifestation, le thème choisi qui relie les programmes du week-end, « Amitiés, Correspondances », met en valeur les liens qui se sont tissés tout au long de l’histoire de la musique entre compositeurs d’horizons divers et parfois de cultures différentes. Chacun des six concerts programmés développe sa propre thématique et associe des œuvres et des compositeurs qui possèdent quelques affinités électives.
Les concerts du samedi 19 novembre
A 14 h 30, le premier des trois programmes de l’après-midi développe le thème original « Amitiés franco-magyares ». Gabriel Fauré, Camille Saint-Saëns, Georges Bizet et Maurice Ravel dialoguent avec le Hongrois Franz Liszt.
La Sonate n° 1 pour violon et piano de Fauré ouvre le concert sur le jeu coloré et torrentiel du pianiste Ariel Sirat et le lyrisme intense du violoniste Pierre Hamel. La tendre Berceuse pour violon et piano de Saint-Saëns précède trois extraits de la suite pour piano à quatre mains, « Jeux d’enfants », de Bizet. Ariel Sirat partage le clavier avec François Schwarzentruber pour ce duo de charme.
Franz Liszt intervient alors sous les doigts véloces et vigoureux de Vincent Martinet. Le jeune pianiste porte à incandescence sa célèbre Rhapsodie hongroise n° 15. Le duo Pierre Hamel, Ariel Sirat se retrouve pour une exécution déchaînée de « Tzigane », de Maurice Ravel. Le lien avec Liszt apparaît évident.
La grande mezzo-soprano Victoire Bunel anime le concert de 16 heures baptisé « Le chant retrouvé ». Au cours de cette apothéose de la journée, la cantatrice déploie un art du chant exemplaire. Un timbre chaleureux, une projection impressionnante, un sens subtil du phrasé et des nuances font de sa prestation un modèle de musicalité. Soulignons l’extrême qualité de l’accompagnement pianistique de Sarah Ristorcelli. Le parfait équilibre sonore entre la voix et le piano, le soutien profondément expressif de ce dernier en font un modèle à saluer. Dans les « Cinq mélodies populaires grecques » de Maurice Ravel, qui ouvrent ce récital, le chant passe avec art de la ferveur à la nostalgie. Dans le cycle de Gabriel Fauré « Mirages », on admire la poésie portée par la voix comme celle du jeux pianistique (« Jardin nocturne » donne le frisson !). Une atmosphère de plainte touchante imprègne la belle « Chanson perpétuelle » d’Ernest Chausson.
La seconde partie s’ouvre sur les « Trois chansons de Bilitis », de Claude Debussy. Cette mise en musique des trois poèmes de Pierre Louÿs (prétendument traduits du grec !) distille une sensualité subtile que Victoire Bunel transfigure de son chant d’une extrême poésie. Deux des mêmes poèmes, additionnés d’un inédit, sont ensuite offerts dans une version musicale de Rita Strohl (1865-1941), une compositrice contemporaine de Debussy et totalement méconnue. La découverte de ce talent original est à mettre au crédit de la cantatrice qui excelle à développer l’aspect plus « vocal » de ces poèmes que dans leur version debussyste.
Pour terminer ce récital, une incursion dans l’œuvre de Déodat de Séverac permet d’abord à Sarah Ristorcelli de démontrer son art de la nuance et de la couleur avec l’extrait de la suite « Cerdaña » qu’elle joue avec sensibilité. Les Trois mélodies que chante Victoire Bunel témoignent de la grande versatilité du talent du compositeur. On admire en particulier le drame qui anime la « Chanson pour le petit cheval ».
Les deux musiciennes ne peuvent quitter le public sans un petit bis d’un humour si typiquement signé Erik Satie. La mélodie « Daphénéo », sur un texte de Mimi Godebska qui parle d’oisetier et de noisetier, conclut cette belle rencontre sur une note délicieusement raffinée.
Le dernier concert de 18 h ramène sur scène les deux pianistes François Schwarzentruber et Vincent Martinet pour une succession de courtes pièces essentiellement françaises avec deux incursions, l’une américaine, l’autre russe. Baptisée « Petites touches d’amitiés » cette incursion intime réjouit par sa diversité et sa richesse. François Schwarzentruber anime avec verve quatre pièces d’Erik Satie, l’hommage de Paul Dukas à Claude Debussy, des extraits des Pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier et cet autre hommage de Maurice Ravel, « A la manière de Chabrier », sorte de pastiche d’un Chabrier qui pasticherait lui-même le Gounod de Faust ! Vincent Martinet prolonge cette incursion ravélienne avec son Prélude en la mineur.
Georges Gershwin, qui a rencontré Ravel, trouve naturellement sa place dans ces échanges amicaux avec « Trois Préludes » contrastés et particulièrement rythmés. Le jeune pianiste aborde ensuite une œuvre phare de ce XXème siècle en pleine évolution. Il s’agit de la prophétique Sonate opus 1 d’Alban Berg. En chemin vers l’atonalisme, cette partition phare pousse à l’extrême les éléments du postromantisme. Vincent Martinet, qui joue toute cette séquence sans partition, en avive avec talent les arêtes et les éléments tragiques. Un dernier groupe de pièces évoque les liens qui associent Ravel et Debussy à la musique russe. Après trois extraits de « Le tombeau de Couperin » de Ravel, le pianiste dévoile un hommage supplémentaire, « A la manière de Borodine », du compositeur basque, puis sélectionne quatre extraits des originaux pianistiques des célèbres « Tableaux d’une exposition » de Modeste Moussorgski. Il conclut sa participation haute en couleurs avec deux pièces de Debussy, la Sarabande, extraite de la suite « Pour le piano » et la vivifiante Tarentelle styrienne.
Il offre enfin un bis extrait des « Images pour piano » de Debussy, le très bel « Hommage à Rameau » d’un classicisme coloré.
Les concerts du dimanche 20 novembre
Trois autres rencontres très variées attendaient les spectateurs toujours aussi nombreux de ce festival hors norme.
L’après-midi dominical s’ouvre à 15 h sur un récital du clarinettiste Lilian Lefebvre, accompagné au piano par le fidèle Vincent Martinet. Une véritable révélation ! Dans tous les répertoires qu’il aborde, Lilian Lefebvre se montre autant virtuose que profondément musicien. La perfection de sa technique se met au service de l’expression. Dès l’Andante et Allegro d’Ernest Chausson qui débute son récital, la finesse de son jeu n’a d’égal que l’éloquence de son phrasé, de la retenue au drame. Avec la splendide Rhapsodie pour clarinette de Claude Debussy, tout un monde de poésie et de couleurs s’épanouit grâce à la subtilité du phrasé et le bel accord entre les deux musiciens.
Dans la seconde partie les deux complices abordent le répertoire germanique avec la même réussite. Dans les Quatre pièces opus 5 d’Alban Berg, le clarinettiste réalise d’incroyables sons filés, à la limite du silence, alternant rêve et inquiétude d’une musique à la fois expressionniste et atonale.
Les quatre mouvements de la Sonate n° 1 de Johannes Brahms s’enchaînent enfin dans la diversité de ses affects, du lyrisme volontaire de l’Allegro appassionato initial à la passion joyeuse du final. Ce très beau concert restera très haut dans les annales du festival !
Il faut admettre que la rencontre suivante le rejoindra dans l’excellence. Sous le titre « Reconnaissance », les organisateurs ont eu la belle idée de faire appel au Quatuor Dutilleux dont les admirables qualités lui assurent une place de choix parmi les formations équivalentes de France et d’ailleurs. Guillaume Chilemme et Matthieu Handtschoewercker, violons, David Gaillard, alto et Thomas Durand, violoncelle, qui conservent de solides attaches avec Toulouse et son Conservatoire, fusionnent avec talent les richesses de leurs individualités. Ces musiciens offrent ce soir-là un programme fondé sur les liens étroit qui se sont établis et développés entre Joseph Haydn et Wolfgang Amadeus Mozart. C’est avec le Quatuor n° 18 K. 464, de Mozart que s’ouvre le concert. Dans ce cinquième des six quatuors dédiés à Haydn, l’écriture contrapuntique tisse un continuum que les musiciens soutiennent avec ferveur. On ne sait qu’admirer le plus, le parfait équilibre des voix, la richesse des timbres, la cohésion de l’ensemble ou la précision incroyable des jeux. De l’ardeur joyeuse de l’Allegro initial à la vivacité fervente du final, l’œuvre s’écoute le sourire aux lèvres.
Le Quatuor de l’opus 76 n° 4, de Joseph Haydn complète ce portrait d’une amitié indissoluble entre les deux compositeurs. Baptisé « Lever de soleil » en raison de l’écriture poétique et ascendante de ses premières mesures, cette partition lumineuse déploie ici tous ses charmes. Vitalité et contrastes de l’Allegro con spirito initial, rêve heureux de l’Andante et danse pleine de sève du Menuetto ouvrent la voie à l’esprit du jeu que les interprètes instillent malicieusement dans le final plein de surprises.
Les applaudissements nourris qui accueillent ces interprétations aboutissent à l’exécution d’un bis lumineux et inattendu, la transcription pour quatuor à cordes de l’Entrée de Polymnie, extraite de l’acte IV des Boréades, de Jean-Philippe Rameau. Un bonheur supplémentaire !
Le dernier concert de la journée et du festival est intitulé « Autour de Clara ». On aura compris qu’il s’agit ici de Clara Schumann, l’épouse tant aimée de Robert Schumann au destin tragique. Le programme réunit bien évidemment des pièces des deux époux mais également des partitions signées Chopin, Mendelssohn et une petite surprise en guise de conclusion.
Outre le retour du pianiste grand amateur et passionné François Schwarzentruber, on accueille le hautboïste à la riche sonorité, Laurent Dhoosche. Les trois Romances pour violon et piano de Clara Schumann sont ici jouées dans leur transcription pour hautbois, ainsi que la partition équivalente de Robert Schumann, écrite quant à elle directement pour hautbois. Un même esprit rêveur et joyeux anime les deux partitions. Outre quelques extraits du Carnaval opus 9 de Robert Schumann, François Schwarzentruber s’attaque avec ardeur à la transcription pour la seule main gauche signée Leopold Godowski de la célèbre Etude opus 10 n° 12, dite Révolutionnaire, de Frédéric Chopin. Une véritable performance !
Le jeune pianiste, également étudiant en mathématique, Louis Cuq complète cette première partie avec trois des Romances sans paroles de Felix Mendelssohn et participe à la seconde partie consacrée à une œuvre rare et très particulière.
Cette œuvre, la Sonate F.A.E. pour violon et piano, est une partition collective dont les mouvements ont été écrits par trois compositeurs différents. Robert Schumann, Johannes Brahms et Albert Dietrich (un élève de Schumann) ont ainsi collaboré à cet hommage au violoniste Joseph Joachim, avec lequel les trois compositeurs étaient liés d’amitié. Joachim avait choisi pour devise la phrase, bien dans l’esprit romantique, « Frei Aber Einsam » (libre mais seul), et l’idée était d’utiliser le plus souvent possible et dans tous les mouvements les trois notes F-A-E (fa, la, mi). Seul le troisième mouvement, le Scherzo écrit par Brahms, est assez souvent joué. Remercions Musique au Palais pour cette initiative de programmer enfin l’intégrale de la partition. Louis Cuq est rejoint pour son exécution par la toute jeune violoniste Roxane Oleg (dont le nom donnera quelque idée sur sa paternité…). Les deux musiciens s’attachent avec ferveur à rendre à chaque compositeur la légitimité de sa contribution.
Voici qui conclut une belle édition de Musique au Palais dont le directeur artistique, Serge Krichewsky, n’a cessé tout au long du festival de présenter les œuvres programmées avec compétence et pédagogie. Souhaitons longue vie à ce festival dont les recettes, ne l’oublions pas, contribuent au soutien d’associations caritatives : Terre Fraternité et Entraide Parachutistes qui contribuent à l’accompagnement des blessés, de leurs proches ainsi que des familles des morts en service de l’armée de terre et des parachutistes.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse