Au Théâtre du Pavé, le mois de décembre 2022 sera marqué par un nouveau cycle Pagnol. « Marius » et « Fanny » sont les œuvres phares de l’auteur qui seront proposées pendant la période des fêtes. Une lecture à deux voix du roman « Le temps de l’amour » aura également lieu en amont dans une représentation unique, le 13 décembre. Francis Azéma, metteur en scène et directeur du théâtre toulousain, a répondu aux questions de la rédaction.
Chez Pagnol, la notion de théâtre populaire était centrale. Il était aussi attaché à ce que l’on peut appeler le théâtre de sentiment, puisqu’il invitait à penser avec le cœur. C’est cette philosophie qui vous a amené à vouloir rendre hommage à l’auteur au Théâtre du Pavé ?
Francis Azéma : Entre autres oui, bien sûr. Penser avec le cœur, avec ses sentiments, ça pourrait être une définition du théâtre. Le théâtre n’est pas un amphithéâtre. C’est un endroit où, justement, on procède autrement pour ressentir le monde. D’ailleurs, à travers toute forme d’art je crois. On essaie de ressentir les choses de façon plus instinctive, plus intuitive, plus animale, plus simple. Je ne sais plus qui disait que c’était une forme d’intelligence supérieure à l’intelligence. Marcel Pagnol est aussi un grand auteur pour cette raison. Ce n’est pas un auteur de la pensée, mais du sentiment.
Pourquoi avoir choisi, dès le départ, de présenter « Marius » et « Fanny » et non pas par exemple « Jazz » et « Topaze », les deux premiers succès en solo de Marcel Pagnol ?
On a beaucoup pensé à « Topaze », mais je ne suis pas arrivé à résoudre le problème de la classe avec les enfants. En effet, nous n’avions pas les moyens d’avoir une classe d’enfants présente tous les soirs sur le plateau. On a aussi imaginé que les spectateurs puissent être les enfants mais ça ne marchait pas. C’était très compliqué. Pour l’instant j’ai renoncé, mais il n’est pas dit que je n’y revienne pas car je trouve cette pièce superbe, et « Jazz » aussi.
C’est une personne du théâtre qui m’a dit « tu devrais relire Marius ». Je l’ai relu vraiment dans l’œuvre première, c’est-à-dire la version théâtrale et non cinématographique où il y a des coupes et des rajouts. Le film, c’est autre chose. J’ai relu cette œuvre qui a eu tant de succès au théâtre il y a près d’un siècle. Alors j’ai ri, j’ai pleuré. J’ai avoué ne pas m’être rendu compte avant à quel point cette pièce était riche. J’étais un peu cloisonné dans cette image marseillaise, avec l’accent, etc. J’étais dans ces clichés qui me masquaient la profondeur de cette œuvre et je m’en veux.
Je n’avais pas vu sa dimension prodigieuse et parfois même tragique, où tous les sentiments se mélangent. Plein de thèmes d’une actualité incroyable sont abordés, jusqu’au féminisme à travers la condition de la femme en 1930. Avec une fille-mère abandonnée de tous (Fanny, ndlr), qui ne sait plus où aller et se réfugie chez un vieux monsieur. Cette histoire-là est assez troublante. Pagnol en parle avec beaucoup de sensibilité et d’élégance. Les meilleurs compliments des spectateurs sont d’ailleurs de ceux qui expliquent avoir redécouvert cette œuvre.
Vous êtes à la mise en scène des deux pièces. C’était donc sans doute plus simple que pour « Topaze », mais quels étaient les éléments phares à vos yeux ?
On peut toujours dire que l’on n’a pas besoin de décor, que l’on peut faire ça avec trois rideaux. Mais on voulait vraiment revenir aux sources du théâtre avec décors, costumes, atmosphère et climat. Je n’avais pas envie de passer à côté de ce Bar de la Marine dans «Marius ». Et après, dans « Fanny », il y a les intérieurs des maisons, la cuisine d’Honorine, etc, où on a aussi essayé de recréer une atmosphère particulière, une sensation. On fait même cuire de la soupe pour qu’il y ait une petite odeur de tomate qui se répande un peu dans les premiers rangs. On essaye de ne pas choisir éternellement cette facilité du non décor qui finit par devenir un peu simple. Une décoratrice nous a aidé. Entre les actes, les comédiens viennent changer le décor dans la pénombre. C’est assumé. Ça montre un peu notre côté artisanal.
« Fanny » vient répondre aux questions que l’on se pose à la fin de « Marius » sur ce que deviennent les personnages. Pourtant, Fanny elle-même, en tant que personnage, se pose beaucoup de questions. Elle se sent mal à l’aise dans son monde, peut-être aussi dans son époque. Ce qui est finalement assez universel et intemporel comme message, et comme vous l’avez dit plus tôt, féministe.
Le questionnement de Pagnol est « que devient une fille dans une société où il est mal vu d’être seule, où il est obligatoire d’être mariée pour ne pas être qualifiée de traînée ? ». Ce jugement est d’une violence inouïe et Fanny pleure beaucoup. Elle ne trouve d’ailleurs jamais la joie tout au long des actes. Elle est mère, mariée à ce vieux Panisse, et quand revient Marius en cachette une nuit, elle lui dit qu’elle l’a toujours aimé et qu’elle ne l’oubliera jamais, mais qu’elle a dû refaire sa vie car la société ne lui permettait pas de l’attendre.
Ce schéma paraît incroyable aujourd’hui et on a beaucoup de retours là-dessus. Se dire que les conditions féminines, il n’y a même pas un siècle, c’était ça… On dirait la préhistoire. Témoigner de ça, c’est important pour montrer combien les luttes peuvent payer. Il faut croire en l’évolution des mœurs même s’il y a encore énormément de chemin.
« Marius » et « Fanny » sont les deux premiers éléments d’une trilogie. Les spectateurs ne retrouveront pourtant pas la troisième partie initiale, « César ». À l’inverse, ce cycle Pagnol débutera par une lecture à deux voix d’un passage du roman « Le Temps des amours », par les deux comédiens interprétant Marius et Fanny (Adrien Boisset et Lucie Roth). Pourquoi ce choix ?
Je pense que l’on aurait eu du monde en montant « César », car beaucoup nous ont demandé « à quand César ? ». Mais honnêtement, cette pièce n’a pas la force des deux autres. Je crois même que Pagnol l’avait avoué à mi-voix. On l’a un peu forcé à écrire «César » après le succès de « Marius » et « Fanny ». À Paris, il y avait la queue jusqu’au bout de la rue Blanche, c’était énorme. Le théâtre n’avait pas connu ça depuis « Cyrano de Bergerac ».
Ces deux premières pièces ont donc très bien marché, alors que « César » a été un flop. Je trouve que le film n’est pas terrible non plus. C’est un peu tiré par les cheveux. C’est pas mal, mais ça tient à peine debout. Nous nous sommes dit que ce serait malhonnête de monter ce troisième volet. On sent le côté commercial derrière tout ça, auquel Pagnol a dû céder, mais je pense qu’il ne l’a pas fait de bon cœur.
Donc nous sommes partis sur ce texte, « Le temps des amours », qui rappelle bien Fanny et Marius. Nous avons demandé aux acteurs de travailler là-dessus plutôt que sur « César ». Ils cherchent une forme pour cette lecture, qui sera peut-être agrémentée de musique. C’est une proposition qu’ils préparent entre eux et je ne m’immisce pas dans leur réflexion.
Une phrase pour convaincre de venir découvrir ou redécouvrir l’œuvre de Pagnol au Théâtre du Pavé en décembre ?
Ce matin, j’avais cours au conservatoire et on parlait d’amour. Du fait que c’était parfois un peu ridicule de parler d’amour au théâtre, et pas souvent réussi. Je leur ai cité ces deux répliques de Pagnol tirées de « Marius », quand Marius dit à Fanny « Tu m’aimes tant que ça ? » et que Fanny répond « Plus que ça ». Mes élèves ont été touchés. Ce genre de phrases, on ne les retrouve pas si souvent au théâtre.
Propos recueillis par Inès Desnot
- « Le Temps des amours », 13 décembre
- « Marius », du 15 au 31 décembre
- « Fanny », du 17 au 31 décembre