Le 7 novembre dernier marquait le retour à Toulouse de la grande cantatrice romaine, dans le cadre de la saison Grands Interprètes. Sa dernière venue, le 13 octobre 2020, avait enthousiasmé un public chauffé à blanc. En compagnie de la même formation instrumentale, Cecilia Bartoli reçoit, cette fois encore, une ovation triomphale au terme d’un concert passionnant et plein d’émotion.
Il n’est plus besoin de rappeler la brillante carrière de cette cantatrice attachante qui a fait ses débuts à Toulouse en 1994, sur la scène du Théâtre du Capitole dans le rôle de Dorabella de Cosi fan tutte de Mozart. Le programme musical qu’elle propose ce 7 novembre occupe le cœur de son répertoire. Ses caractéristiques vocales et musicales s’épanouissent en effet idéalement dans ce monde baroque qu’elle contribue à explorer avec passion.
Cecilia Bartoli est accompagnée par l’ensemble Les Musiciens du Prince-Monaco, créé au printemps 2016 à l’Opéra de Monte-Carlo, sur une idée de la cantatrice elle-même et en collaboration avec Jean-Louis Grinda, directeur de l’Opéra. L’Ensemble d’une trentaine de musiciens est dirigé avec finesse et habileté par Gianluca Capuano qui touche également l’un des deux claviers du continuo. Le premier violon solo Enrico Casazza assure avec panache toutes les parties solistes.
Deux compositeurs majeurs se partagent cette soirée : Antonio Vivaldi et Georg Friedrich Händel. Près d’une vingtaine de pièces diverses balaient la palette des affects, des sentiments exprimés par ces deux créateurs de génie. On aurait pu craindre une dispersion fragmentée de ce programme constitué d’une succession de miniatures. Il n’en est rien ! Avec intelligence et sensibilité, les différentes pièces se succèdent donnant l’impression d’une continuité qui suit une véritable trajectoire, une sorte de voyage initiatique en terre baroque. Les extraits vocaux et instrumentaux qui composent ce programme s’avèrent subtilement liés aussi bien par leur caractère expressif que par leur structure musicale. En dehors des ruptures recherchées et assumées, les enchaînements sont habilement réalisés par des improvisations au théorbe ou au clavecin.
La première partie consacrée à Vivaldi s’ouvre sur la vitalité du Concerto « Alla rustica » pour cordes. Il est suivi de deux airs extraits des nombreux opéras de Vivaldi dont on peut regretter la rareté au concert comme sur la scène lyrique. L’air extrait de La Silvia, « Quell’augellin que canta » est accompagné de chants d’oiseaux, réels autant que suggérés par l’intervention de la flûte (un traverso) admirablement jouée par Jean-Marc Goujon. Un artiste que l’on retrouvera avec plaisir tout au long du concert. Tout ce début de première partie suscite une profonde émotion que le chant nostalgique de la cantatrice porte à son comble : phrasé soyeux, pianissimi subtils, diction parfaite…
Deux extraits des fameuses Quatre Saisons tissent un lien astucieux avec les pièces vocales. Ainsi, l’Allegro de L’Hiver, aux sonorités habilement grinçantes, est suivi d’un air extrait de Farnace « Gelido in ogni vena », sublime de douceur ! En revanche, l’épisode orageux de L’Eté introduit l’air de Zanaida extrait de Argippo, « Se lento ancora il fulmine » motivant les furieuses imprécations de l’héroïne déchaînée.
La solennité de Händel succède à la sensualité de Vivaldi dans la seconde partie du concert. Plusieurs ouvertures des nombreux opéras du « caro sassone » balisent une nouvelle succession d’arias dans lesquels la virtuosité vocale le dispute à la profondeur de l’expression. Les oiseaux, de nouveau évoqués dans un air extrait de Rinaldo, motivent un nouveau et beau duo entre la voix et la flûte. Cecilia Bartoli domine avec science et musicalité la pratique de l’aria da capo en ornant avec imagination toutes les reprises. C’est le cas du subtil « V’adoro pupille » extrait de Giulio Cesare in Egitto. Mais le sommet emblématique de cet épisode händélien n’est autre que l’air célèbre « Lascia la spina cogli la rosa » extrait de l’oratorio Il Trionfo del Tempo e del Disinganno. Cette aria, que Händel n’a pas hésité à « recycler » dans plusieurs de ses œuvres, déchaîne d’ailleurs une ovation spontanée de tout le public. La séquence Händel s’achève sur un étonnant récitatif et air de Melissa extrait de Amadigi di Gaula : « Mi deride… Destero dall’empia Dite ». La voix est ici « concurrencée » par un hautbois solo et une trompette solo, tous deux d’une incroyable et musicale virtuosité. Ce trio rutilant déclenche une nouvelle salve d’applaudissements à laquelle les interprète répondent par la succession de deux bis totalement inattendus et bien éloignés du domaine baroque. Dans le premier, Cecilia Bartoli susurre une chanson italienne composée en 1935 par Ernesto de Curtis sur un texte de Domenico Furnò : « Non ti scordar di me », autrement dit « Ne m’oublie pas ». L’accompagnement orchestral, cordes en boyau et vents baroque, prend des allures « sirupeuses » véritablement cocasses.
Le triomphe de @ceciliabartoli et des Musiciens du Prince, hier soir à la @halleauxgrains!
Quel bonheur!
Merci aux @GdsInterpretes. pic.twitter.com/1LYAGMNwAp— Thierry d’Argoubet (@T_d_Argoubet) November 8, 2022
La soirée s’achève sur un duo stupéfiant entre la voix et la trompette intitulé « A facile vittoria » d’un certain Agostino Steffani. Les deux intervenants se lancent un irrésistible défi de virtuosité. A la trompette baroque, Thibaut Robinne réalise là une véritable performance. Chacun de ses traits provoque son adversaire, la poussant à se dépasser, ce que la cantatrice n’a aucun mal à faire ! Le duel s’achève même sur une évocation irrésistible du Summertime de Porgy and Bess… De Vivaldi à Gershwin, le grand écart réjouit vraiment tout le monde !
Le feu d’artifice vocal et instrumental de cette soirée restera longtemps dans les mémoires.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse