Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Les Passagers de la nuit de Delmer Daves
Humphrey Bogart et Lauren Bacall, « Bogey » et « The Look » : l’un des couples – à l’écran comme à la ville – les plus mythiques du cinéma. Seulement quatre films en commun entre 1944 et 1948, mais quels films… Le Port de l’angoisse d’Howard Hawks (durant le tournage duquel naît leur histoire d’amour), Le Grand Sommeil toujours de Hawks d’après le roman de Raymond Chandler, Les Passagers de la nuit de Delmer Daves et Key Largo de John Huston. Les Passagers de la nuit ne comprend pas les répliques et les scènes cultes des films de Hawks élevés au rang de classiques. Delmer Daves n’a pas le talent du réalisateur de Scarface ou de L’Impossible Monsieur Bébé ni celui de John Huston, mais son film avec le couple de stars est bien mieux qu’une curiosité.
A San Quentin, un condamné à mort s’est échappé. Vincent Parry, accusé du meurtre de son épouse, est sur le point d’être repris quand une jeune femme vient miraculeusement à son secours. Irène Jansen, persuadée de l’innocence de Parry, a entendu l’annonce de l’évasion à la radio, est partie à sa recherche et le dissimule dans sa voiture afin de le recueillir chez elle à San Francisco.
Grand film d’amour
L’invraisemblance du scénario (adaptation d’un roman de David Goodis) ne nuit pas au film qui baigne du début à la fin dans un climat onirique, une manière de cauchemar dont témoignent à un moment les hallucinations du héros. Les liens croisés inattendus entre certains personnages, la nuit et le brouillard occupant San Francisco dans plusieurs scènes renforcent ce sentiment d’irréalité. Comme dans un rêve encore, Vincent Parry, qui vient de quitter l’appartement d’Irène pour ne pas la compromettre, monte dans un taxi dont le chauffeur – qui a reconnu le fuyard – lui propose d’avoir recours à une opération de chirurgie esthétique grâce à l’un de ses amis. Il s’agit de changer de tête pour mieux la sauver.
Surtout, la grande originalité des Passagers de la nuit est le procédé de caméra subjective utilisé dans quasiment la première moitié du film. Plus audacieux encore : alors que le héros, sorte d’homme invisible pour le spectateur, n’existe alors que par sa voix ; il est privé de la parole après son opération tandis que son visage est dissimulé par des bandages. Il faut donc attendre un peu plus d’une heure pour découvrir enfin à l’écran Humphrey Bogart que l’on ne devinait qu’à travers les yeux des autres personnages… Délivré de son apparence et de son identité, Parry va paradoxalement pouvoir se lancer dans la quête de la vérité et tenter de prouver son innocence. Film sur le regard et les faux-semblants, sur la fuite et la disparition, Les Passagers de la nuit est aussi un grand film d’amour. Celui entre Bacall et Bogart qui imprègne avec éclat les images.
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