Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, une réédition, un classique ou un livre injustement méconnu.
Membre du mythique groupe Taxi Girl dont la carrière fut aussi brève que marquante, compositeur et producteur pour trois albums de Madonna, figure de la musique électronique en tant qu’artiste solo, Mirwais Ahmadzai fait son entrée en littérature avec un roman détonnant, iconoclaste, plein de souffle et de fulgurances. Dans un futur proche, un « Symbole » surgi du passé (que l’on laissera découvrir au lecteur) a produit un « effet magique » en unifiant la planète autour de la consommation et du commerce. Ce super logo s’affiche sur les corps comme sur le moindre objet tandis que les milliardaires de l’ère digitale – au regard desquels les anciens capitalistes font figure d’humanistes philanthropes – règnent.
A Paris, Lazare, un homme qui a collaboré à son niveau à l’avènement de cette société techno-marchande, erre au milieu des messages publicitaires, des écrans de surveillance et des représentations falsifiées. Des visions et des rêves taraudent cet être qui tente de renouer avec le réel et les relations humaines concrètes.
Voix totalement singulière
Les Tout-Puissants impressionne d’abord par la description d’un cauchemar numérisé et climatisé qui ressemble à notre présent. Culte de la célébrité et du narcissisme, populations gavées « de soda, de séries et de streaming », « addiction de masse aux contenus digitaux », transformation de la planète en « camp de consommation dirigée » : ce monde dématérialisé et déspiritualisé nous est déjà familier. Malgré la radicalité et la cohérence du propos, Mirwais Ahmadzai n’a pas fait œuvre d’essayiste ou de pamphlétaire, mais de romancier.
De même, les influences (de Philip K. Dick à Shakespeare en passant par Bret Easton Ellis notamment dans les chapitres intitulés « Chants ») n’empêchent pas l’expression d’une voix totalement singulière où la poésie se mêle à un humour grinçant.
« C’était le monde présent. Et nul n’échappait à son époque », lit-on à un moment. Lazare est de ceux qui ne cèdent pas au renoncement face au magistère de l’intelligence artificielle et de « pharaons ignares » dont la toute-puissance est paradoxalement fragile. A sa manière, le roman de Mirwais Ahmadzai est d’ailleurs une œuvre de résistance.