Emmanuel Gaillard a été le directeur d’Odyssud pendant 22 ans.
Maintenant qu’il va passer le relais alors que la grande salle d’Odyssud est toujours en travaux suite à la nécessité d’adapter la cage de scène aux impératifs techniques et de sécurité, -pour un montant de 12 M€, impossible sans le réseau « d’amis culturels »,- que la Mairie de Blagnac cherche encore celui ou celle qui va lui succéder, lui demandant de rester « conseiller culturel » jusqu’à la fin de l’année 2022, et qu’il rend hommage à son équipe de 35 personnes, il ne fait aucun doute qu’il laissera dans cette grande et belle maison une empreinte indélébile.
Avec son départ, c’est une page qui se tourne non seulement dans l’histoire de cette structure culturelle exceptionnelle, mais aussi bien sûr dans le parcours de cet amateur éclairé devenu un des grands professionnels de la diffusion du spectacle vivant sur toutes ses formes.
Ses programmations répondaient d’abord à la mise en œuvre d’un projet artistique et culturel, sur la base des axes et attentes formulés par les tutelles, la ville de Blagnac, mais également le Conseil Départemental, le Conseil Régional et le Ministère de la Culture. Et surtout l’expression d’une vision éclairée de la Culture en général, du spectacle vivant en particulier; avec un grand éclectisme. Emmanuel Gaillard a invité à Odyssud des spectacles du plus large répertoire, du Théâtre au Cirque, de la Musique baroque au Hip-hop, sans oublier la danse et les spectacles jeune public.
De son passage à la barre d’Odyssud, je me souviens avec plaisir et émotion, comme de très nombreux spectateurs, du Slava’s Snowshow et de Stomp, du Béjart Ballet Lausanne et du Tanztheater de Pina Bausch, du Cadre Noir de Saumur avec l’Orchestre National du Capitole, de François Morel dans son hommage à Raymond Devos, des inoubliables Michel Bouquet et Philippe Noiret, Jean-Louis et Marie Trintignant, Jordi Savall et Montserrat Figueras, des Voix Sacrées de Patrizia Bovi, Fadia Tomb El-Hage et Françoise Atlan…
Né en 1960 à Paris, diplômé de Sciences Po Paris et licencié en Droit, Emmanuel Gaillard a débuté sa carrière dans les ressources humaines, avant d’être l’administrateur de l’ensemble vocal A Sei Voci, de l’Orchestre de Chambre de Toulouse et de la Compagnie de danse Pietragalla, puis à partir de 2000 directeur d’Odyssud, où il est parvenu à créer un équilibre de spectacles d’un excellent niveau, en mélangeant artistes connus et spectacles à découvrir dans une magnifique salle de 950 places !
Sa passion pour la musique classique a commencé dès l’adolescence: déjà mélomane, il courait aux concerts de Radio-France où il a vu par exemple Karajan diriger.
Son élan vers le spectacle vivant ne se démentira jamais, il a été bénévole au Festival Périgord Noir qui mixe musique classique et baroque avec le jazz, et vers ses 30 ans, il a décidé d’en faire son métier.
C’est avec l’Ensemble A Sei Voci, fondé par Bernard Fabre-Garrus, -dont on se souvient par exemple des enregistrements des Misse de Josquin Desprez (ca. 1440-1521) en particulier celle de l’Homme armé-, qu’il a fait ses premières armes justement. Il a découvert ainsi tout l’envers administratif du décor, c’est le cas de le dire, sans lequel un orchestre ou une compagnie ne peut exister.
C’est ensuite l’aventure de la Danse contemporaine, avec la danseuse Pietragalla, directrice du Ballet national de Marseille, et sa pléthore de danseurs permanents.
Puis l’Orchestre de Chambre de Toulouse, une institution fondée par Louis Auriacombe, qui fêtait ses 50 ans en beauté.
Enfin à Odyssud où il est resté 22 ans, qu’il définit comme « une maison pour tous qui se donne pour mission d’accueillir des spectacles et des publics très larges », il y a fait entrer les Musiques Anciennes, les Danses contemporaines, urbaines et du monde, le Nouveau Cirque, accentuant l’accueil des spectacles jeune public au point de créer le Festival Luluberlu, qui connaissent un succès incroyable.
Son credo était de faire découvrir à tous le spectacle vivant sous toutes ses facettes.
« Je fais ce métier pour le public et pour l’art: j’aime que les spectacles soient de qualité mais aussi généreux et poétiques, qu’ils proposent un autre regard sur l’existence, qu’ils offrent du rêve et de la réflexion: c’est important d’éveiller les curiosités ».
C’est dans cet esprit qu’il a signé la convention Culture à l’Hôpital, initiée par son prédécesseur Thierry Carlier, avec le Centre Hospitalier de Toulouse pour « améliorer le bien-être psychologique des Personnes hospitalisées », en particulier les enfants. (Ce beau programme, voulu par Mesdames Trautmann et Tasca n’a pas survécu à la « Tarification à l’activité de l’Hôpital public », -la rentabilité à tout prix- prônée par certains de nos énarques).
Même s’il ne partageait sans doute pas l’utopie d’André Malraux « de faire pour la culture ce que Jules Ferry a fait pour l’instruction: qu’elle soit gratuite », il a néanmoins œuvré dans la grande tradition de Jeanne Laurent, dès le début des années 1950, s’affirmant héritière des idéaux du Conseil national de la Résistance et du préambule de la Constitution de 1946 (« la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation et à la culture »), grâce à laquelle les gens de ma génération ont vu de très belles avancées dans ce domaine.
Il a sans doute gardé aussi toujours présent à l’esprit la devise de Jean Vilar voulant faire avec le Théâtre National Populaire « un théâtre qui n’exclut pas, une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain et le vin… au premier chef, un service public, tout comme le gaz, l’eau, l’électricité ».
Il l’a appliqué à la Culture en général et au spectacle vivant en particulier, persuadé que l’art ne prend toute sa signification que lorsqu’il assemble et unit.
Même s’il ressentait « une inquiétude de fond qu’elle ne devienne de plus en plus une variable d’ajustement », il aura été un grand serviteur de la Culture avec un grand C, cette Culture que Jean-Jacques Rousseau considérait « comme le meilleur outil du mieux vivre ensemble ».
Au début de cette année 2022, on a pu le voir rayonnant sur la scène de l’Aria de Cornebarrieu dans le Chœur de Castor et Pollux de Jean-Philippe Rameau par la Compagnie À bout de souffle,mis en scène de fort belle façon parStéphane Delincak, et ressentir sa volonté de rester actif dans ce métier.
Et de fait, il va s’adonner à ses violons d’Ingres, le chant et le piano; mais aussi produire dès la rentrée une émission de 26 minutes sur Radio Présence Midi-Pyrénées (87.9) « Tous au spectacle » consacrée à l’actualité du spectacle vivant: même s’il verra moins de spectacles, que les vingt dernières années (« 150 par an » selon ses dires), cela promet quand même de belles découvertes.
Après celle d’Odyssud, son odyssée personnelle continue. Souhaitons lui qu’elle soit encore de toutes les couleurs comme celles de ce Voyage à Ithaque chanté superbement par Lluis Llach sur un poème de Konstantinos Kavafis, un des plus grands poètes grecs du XXesiècle, dont je paraphrase quelques vers:
Qu’on le voit sur son bateau
Suivre le chemin de ses nobles passions
Plein d’aventures, plein de connaissances
Fidèle à son credo
Privilégiant le dieu des arts
Et les muses aux bras fleuris.
Trois coups de cœur musicaux d’Emmanuel Gaillard
Marche des Turcs de Jean-Baptiste Lullypar Jordi Savall et Le Concert des Nations
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Summertime in Porgy and Bess de George Gershwin par Louis Armstrong et Ella Fitzgerald
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Gacela del amor imprevisto de Federico Garcia Lorca par Vicente Pradal, Servane Solana, Luis Rigou, Renaud García-Fons,Emmanuel Joussemet etc…