Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.
Dans Bleus horizons, Jérôme Garcin ressuscite Jean de La Ville de Mirmont, tombé pour la France le 28 novembre 1914 à l’âge de 28 ans. Le jeune homme laissa un roman publié à compte d’auteur (Les Dimanches de Jean Dézert) et un recueil posthume de poésie (L’Horizon chimérique) qui suffiront à en faire un écrivain culte. L’auteur de La Chute de cheval, Théâtre intime, L’Écuyer mirobolant ou Olivier met en scène Louis Gémon, frère d’armes imaginaire de Mirmont auquel le lia l’amour de la littérature.
La guerre achevée, le survivant n’aura de cesse de perpétuer le souvenir de son ami. Bleus horizons retrace de 1914 à 1942 (avec un épilogue couperet situé en 1952) cette quête virant à l’obsession. Sans même s’en rendre compte (sinon quand il sera trop tard), le pieux Gémon confit dans son culte se transformera en une sorte de déclinaison de Jean Dézert : une ombre, une silhouette anonyme, un assistant notarial grisâtre. À moins que son dévouement ne soit pas resté vain et, qu’à sa manière, il ait participé à la postérité de Jean de La Ville de Mirmont ?
Jeune homme éternel
Là résident l’originalité et l’audace de Bleus horizons : remettre en question l’entreprise de l’intercesseur et par là même celle de Garcin, mi-romancier mi-Gémon… A quoi bon évoquer des écrivains au bagage léger que tout le monde ou presque a oubliés ? Paul-Jean Toulet, Henri Calet, Jean Forton, Bernard Barokas, Frédéric Berthet : combien de divisions ? Pourquoi gaspiller sa vie terrestre à noircir des pages qui deviendront poussière et qui ne seront peut-être pas lues ?
Jérôme Garcin fait le récit d’une tragédie, celle d’un survivant de « la grande nuit de 14 » qui s’est réfugié dans le passé d’un « jeune homme éternel ». La culpabilité a sans doute sa part dans l’histoire de ce sacrifice presque invisible. Bleus horizons restitue avec fragilité et émotion cette passion folle comparable à celle que Mirmont éprouva pour sa mère. Il est « impossible d’écrire sur quelqu’un de méprisable », fait dire Garcin à l’auteur des Dimanches de Jean Dézert. Son roman, sensible et plein de grâce, le prouve avec éclat.