Entretien avec Petr Nekoranec – Le Barbier de Séville de Gioacchino Rossini à l’Opéra national du Capitole
Ce jeune ténor tchèque fait partie de cette génération de chanteurs particulièrement meurtrie par la récente pandémie. Qu’à cela ne tienne, le voilà reparti vers de nouveaux sommets. Christophe Ghristi lui offre ses débuts en France dans un rôle qu’il connait bien, celui du Comte Almaviva, pierre de touche de tout rossinien. Rencontre.
Classictoulouse : Vous êtes né en République tchèque, vous chantez pour la première fois en France, mais Toulouse vous a déjà entendu pour le Concours de chant de 2014. Vous aviez 22 ans à peine ! Quel a été votre parcours depuis et ce second prix vous a-t-il aidé dans votre début de carrière ?
Petr Nekoranec : Le Concours de chant de Toulouse a été pour moi mon premier succès international. Je me souviens parfaitement avoir parlé avec la Présidente du Jury de ce Concours, Tereza Berganza, qui, à cette occasion, m’a donné d’excellents conseils. Ensuite j’ai intégré l’Opéra Studio de l’Opéra de Munich où je suis resté deux ans. Après j’ai rejoints le programme des Jeunes Chanteurs du Metropolitan Opéra de New York. C’est un programme très important que j’ai suivi pendant quatre ans. Stuttgart m’a ensuite accueilli dans sa troupe et m’a offert mon premier engagement, c’était Le Barbier de Séville. J’ai enchaîné sur cette scène avec Cenerentola et Don Pasquale. Aujourd’hui je suis soliste au Théâtre national de Prague.
Votre apprentissage de l’art lyrique a-t-il été particulièrement marqué par un professeur ?
PN : J’ai eu la chance incroyable de travailler avec un ténor italien, peut-être pas très connu, mais un professeur extraordinaire : Antonio Carangelo. Nous nous parlons quasiment toutes les semaines encore. Ayant vécu plus de 30 ans à Genève, il parle un français de grande qualité et c’est lui qui m’a formé à ce répertoire et à cette langue. Il en est de même pour l’italien. Il m’enseigne selon la technique « ancienne » car la couleur de ma voix est un peu particulière.
Lors de la finale du Concours de chant de Toulouse vous aviez interprété une mélodie de Britten qui avait fait sensation et si je ne me trompe vous avez déjà chanté le rôle-titre d’Albert Herring de Benjamin Britten. Quelles sont vos affinités avec ce compositeur ?
PN : Effectivement pour ma deuxième année à Munich j’ai chanté Albert Herring dans le théâtre Cuvilliés. C’est un souvenir incroyable. En fait je ne connaissais pas trop ce compositeur et du coup je me suis intéressé à son œuvre, particulièrement ses mélodies. Je crois qu’il connaissait parfaitement la voix de ténor. Je dois dire que son écriture vocale me va comme un gant. C’est du miel pour ma voix !
Quel est votre répertoire à ce jour ?
PN : Rossini bien sûr mais je vais m’orienter vers Mozart. Je viens de chanter mon premier Ferrando de Cosi fan tutte ainsi que mon premier Tamino de La Flûte enchantée. Je pense qu’à l’avenir c’est mon répertoire, tout comme Donizetti car il fait appel beaucoup plus à la ligne de chant qu’à la quinte aigu et aux vocalises.
Et le répertoire baroque ?
PN : C’est un répertoire qui me convient parfaitement. D’ailleurs je reviens en France la saison prochaine, dans plusieurs villes, pour le David et Jonathas de Marc Antoine Charpentier (ndlr : tragédie biblique créée en 1688). Ce mélange entre voix de tête et de poitrine est passionnant techniquement.
Cet été à Florence, durant le Mai Musical, je suis aux côtés de Cecilia Bartoli dans le rôle d’Oronte de l’Alcina de Haendel. En fait mon répertoire est très varié, ce qui est fort intéressant pour moi. Je chante aussi Le Ténor dans Le Chevalier à la Rose de Richard Strauss, ou encore l’Innocent dans Boris Godounov de Modeste Moussorgski. Sans oublier Hylas dans Les Troyens de Berlioz, un petit rôle mais avec un air magnifique. Je dois dire également que le récital de mélodies est pour moi toujours un moment magique.
Nous avons assisté tout dernièrement à un récital de deux ténors qui nous ont avec beaucoup d’humour fait la démonstration de ce qu’est un baryténor et un ténor contraltino. S’il était question de définir votre voix, qu’en diriez-vous aujourd’hui ?
PN : En fait j’ai une voix très souple. J’ai la possibilité de chanter avec la technique de contre-ténor. D’ailleurs, il y a peu, au festival baroque du théâtre des Margraves à Bayreuth, j’étais dans la production de Carlo il Calvo de Nicola Porpora. Je chantais Asprando et au cours d’une répétition j’ai remplacé Max Emanuel Cencic (ndlr : contre-ténor) dans un air de Lottario. Pour moi c’était un jeu, mais ça a marché !
Parlez-nous de cet Almaviva que vous avez déjà interprété avant de venir à Toulouse, comme tout bon ténor rossinien qui se respecte.
PN : Ce rôle ne me pose pas de problème particulier, sauf qu’il est difficile car très long. De plus, si au début il chante normalement, ensuite il doit contrefaire un homme ivre, puis un prêtre avec une voix plus ou moins dans le nez. Vraiment ce n’est pas facile du tout. Cela dit, (soupirs visiblement de regret) cette production n’inclut pas dans la partition l’air final d’Almaviva : Cessa di piu resistere.
Lors de la demi-finale du Concours de chant de Toulouse, vous aviez présenté un Nadir absolument renversant de musicalité, de style et de prosodie. Quel est votre rapport avec l’opéra français ?
PN : Peu de temps après avoir commencé à travailler avec Antonio Carangelo, il m’a demandé d’apprendre cet air de Nadir des Pêcheurs de perles de Bizet. Depuis je le chante dans tous mes récitals. Il m’a aussi appris à placer les demi-teintes sur cet air, un peu à l’ancienne certes mais c’est tellement beau ainsi. Et bien sûr je l’ai mis dans mon premier CD dédié à l’opéra français. La saison prochaine je prends le rôle de Roméo à Prague et j’attends avec impatience de pouvoir chanter un jour Les Pêcheurs de perles. J’adore la langue, la musique et le répertoire français.
Lorsque vous apprenez un rôle, écoutez-vous les chanteurs du passé ou actuels ?
PN : J’écoute surtout les chanteurs d’avant. Chaque fois que j’aborde un rôle j’écoute plusieurs interprétations et ensuite j’essaie de prendre ce qui me semble le meilleur de chacun. Tous ont un quelque chose d’exceptionnel que ce soit Pavarotti, Pertile, Björling, Tagliavini, Gedda, Corelli, del Monaco. Après j’adapte tout cela à ma voix sans bien sûr tenter d’imiter car ce serait dangereux. Schipa et Gigli sont des modèles de prosodie, Di Stefano pour l’émotion.
Quels sont vos futurs engagements et quels rôles nouveaux travaillez-vous actuellement ?
PN : Je rentre à Prague après Toulouse pour une série de récitals, puis je vais un peu me reposer car dès le mois d’août je commence les répétitions d’Alcina, puis s’enchaînent le Rosenkavalier, Roméo et Juliette, David et Jonathas, Hyppolite et Aricie, etc.
Si Christophe Ghristi devait vous proposer de revenir au Capitole, quel rôle souhaiteriez-vous ?
PN : J’aimerais vraiment avant tout revenir au Capitole, que ce soit clair. Il y règne dans ce théâtre une atmosphère familiale dans laquelle on peut travailler sereinement. Peu importe dans quel opéra, pour cela je fais entièrement confiance à Christophe Ghristi. Pour répondre vraiment à votre question, juste pour le fun, ce serait certainement La Fille du régiment de Donizetti. Ce n’est pas spécialement pour le premier air avec tous les contre-ut mais plutôt pour le plaisir de chanter le second : Pour me rapprocher de Marie, qui est une merveille absolue.
Et quand vous ne chantez pas… ?
PN : Je dois avouer que je suis très… gourmand. Et dans ce domaine j’ai une véritable passion pour le café. Parfois je rêve que je suis bariste (ndlr : genre sommelier du café). Après, bien sûr et c’est très important dans notre métier, je fais du sport, non pas des sports collectifs mais de la musculation. Il est impératif de s’entretenir corporellement. Je pratique également le yoga. Je lis beaucoup mais par audiobook. Côté cinéma je suis un fan des Marvel et plus globalement de science-fiction.
Un dernier mot ?
PN : Oui, merci pour cet entretien. C’est mon premier en français, J’espère ne pas avoir dit trop de bêtises (rires) (ndlr : en fait Petr Nekoranec parle… 6 langues !)
Propos recueillis par Robert Pénavayre
En savoir plus sur Le Barbier de Séville :
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