Chronique. Théâtre. Toulouse. ThéatredelaCité, le 6 Avril 2022. TIAGO RODRIGUES : Dans la mesure de l’impossible. Texte et mise en scène : Tiago Rodrigues ; Gabriel Ferrandini : musicien.
Tiago Rodrigues ou le génie d’être pleinement de son temps
Sensibilisé au soin par le fait d’être fils d’une mère médecin, Tiago Rodrigues ne cache pas dans son texte de présentation de sa pièce combien aider l’autre, par le geste de soigner et soulager représente pour lui « la seule vraie profession ». Le parti pris théâtral de construire un spectacle sur la vie de soignants du CICR, Comité International de la Croix Rouge, aurait pu être vain ou décalé. Tiago Rodrigues fait dans un même geste acte de création théâtrale et de philosophie politique. Dans ce sens il est fidèle à ses deux parents car son père est journaliste de profession.
L’objet théâtral est consistant, structuré et solidement articulé, comme le propos politique implacable sous-jacent.
Quatre acteurs et un musicien sont sur scène : quatre personnages sensés parler de ce qu’ils font, comprennent, vivent lors de leurs missions pour le Comité International de la Croix Rouge. Le texte est beau, international (français, anglais, portugais) toujours traduit avec une grande efficacité.
Chacun des quatre acteurs (deux hommes et deux femmes) a son style et crée un personnage crédible. Le travail de réécriture en mêlant des histoires vraies est assez fascinant tant chaque personnage est cohérent au point de devenir plus ou moins proche, avec son langage qui sonne vrai. Dès les premiers instants de la pièce le public est pris à parti. Jouant face au public les acteurs s’adressent en fait à Tiago Rodrigues (et à nous) précisant leurs réticences et envies de participer à cette création théâtrale. Non sans humour la première actrice dit tout net qu’elle « n’aime pas le théâtre ». C’est d’autant plus savoureux que c’est peut-être à elle que revient la performance d’actrice la plus spectaculaire parlant aussi bien anglais que français et portant énormément d’émotions dans ses interventions. Le cadre est donc posé il s’agira de tranches de vie, de paroles, de souvenirs de gens de terrain qui ont pratiqué depuis longtemps déjà ces Territoires de l’Impossible à savoir ces lieux de non civilisation que sont les zones de guerre, ces lieux où la paix est impossible et qui sont uniques et si semblables. Puis tout s’enchaîne sans solution de continuité. Au niveau du décor le grand drap qui cache les quelques éléments et surtout le musicien que l’on entend bien avant de le voir, va être levé à vue petit à petit par les acteurs permettant ne nous faire voyager. Les lumières de Rui Monteiro participent activement à la création d’espaces où l’imagination du spectateur peut voir des tentes, des dunes, des montagnes, du ciel, de la fumée, des gravats…
La musique de Gabriel Ferrandini qui joue des percussions multiples a la charge complexe de triturer l’espace et le temps
La seule musique apaisante viendra du chant désolé de Beatriz Brás qui interprète avec beaucoup d’émotions le chant de Medo d’Alain Oulman d’après un poème de Reinaldo Ferreira.
Gabriel Ferrandini, le compositeur-percussionniste est un torrent d’énergie, de violence et de fureur qui se dévoile aux multiples sens du terme. Car invisible d’abord il va petit à petit être dévoilé par les acteurs comme sont dévoilées par le texte toutes les abominations sociétales enchâssées comme des poupées russes à toutes les strates de la société. Il est la guerre et sa bêtise, la destruction jusqu’aux ruines de la civilisation, le bruit des bombes, les cris des mourants. Le son si puissant, comme les bombes a un impact physique dans la poitrine et l’abdomen. La folie de ses improvisations, la virtuosité technique, laissent pantois. La puissance du son en fin de spectacle m’a obligé à me boucher les oreilles. Peut-il en être autrement quand avec cette acuité nous est présentée la guerre au moment où l’Ukraine est victime des bombes et des abominations humaines. Le CICR peut-elle intervenir en Ukraine ?
Quel voyage en enfer… Quelle folie que notre monde…. Quelle beauté en cette folie humaine qui consiste à vouloir sauver un homme alors que des milliers sont tués. Les « histoires » racontées sont pour le moins édifiantes et pour beaucoup des révélations terribles. Je ne souhaite pas « spoiler » ce magnifique spectacle qui va toucher le spectateur très fort, l’emmener émotionnellement très loin …. En ce qui concerne la majorité du public toulousain de la première, le choc a été accepté et il y a eu une standing ovation en fin de spectacle tant l’émotion a été forte.
La lutte entre la puissance de mort et les forces de vie est terrible dans ces zones de l’Impossible paix. Cela se rapproche de nous… Ce spectacle inouï nous le rend compréhensible par notre intellect, nos sens, notre cœur et notre corps. Tiago Rodrigues a écrit un très grand texte, a construit un très grand moment de théâtre engagé et terriblement moderne. Merci à lui et à son équipe soudée incroyable d’engagement.
Hubert Stoecklin
Chronique. Théâtre. Toulouse. ThéatredelaCité, le 6 Avril 2022. Tiago RODRIGUES : Dans la mesure de l’impossible. Texte et mise en scène : Tiago Rodrigues ; Traduction : Thomas Resendes ; Scénographie : Laurent Junod ; Composition musicale : Gabriel Ferrandini ; Lumière : Rui Monteiro ; Son : Pedro Costa ; Costumes et collaboration artistique : Magda Bizarro ; Assistanat à la mise en scène : Lisa Como ; Avec : Adrien Barazzone, Beatriz Brás : chant de Medo d’Alain Oulman d’après un poème de Reinaldo Ferreira, Baptiste Coustenoble, Natacha Koutchoumov ; Gabriel Ferrandini : musicien.