Critique. Théâtre. Toulouse. Théatredelacité, le 1 Avril 2022. Contes et légendes texte et mise en scène : Joël Pommerat.
Le Fabuleux théâtre moderne de Joël Pommerat.
La fiction du théâtre garde une part de magie indéfinissable et immortelle. Dans son dernier spectacle très original Joël Pommerat joue sur tous les plans de la fiction. Ce spectacle impeccablement construit laisse sans voix les spectateurs tant la joie de la manipulation est complète. Impossible de savoir l’âge des acteurs, ce sont 8 ados de moins de 15 ans que nous avons vu jouer avec seulement deux adultes. Il y a un authentique robot humanoïde mais il y en avait certainement bien davantage ou peut être aucun. Ces courtes scènes sont à la fois autonomes et toutes liées. Chaque moment théâtral bénéficie de son rythme, de son décor, de ses acteurs, de sa lumière et à la manière du cinéma débute et finit avec une précision d’arrêt sur image. Les thèmes abordés sont tous à la fois naturels, jamais l’auteur ne prend la pose, les sujets sont éternels et absolument nouveaux. Ainsi les relations parents-enfants sont éternelles dans les attentes impossibles des deux côtés et très modernes dans cet abandon parental de leurs précieux rejetons au monde virtuel ici représenté par des robots-humains. Les relations entre ados, entre garçons et filles, individu et groupe : tout se fait dans le langage cru actuel. La quête affective, le besoin d’amour représentent les questions centrales avec en filigrane l’idée que le compagnon virtuel ancillaire serait plus tendre et plus gentil que les autres humains. Jamais rien n’est lourd, tout est suggéré, tout est toujours vivant. L’humour de Pommerat est arc en ciel : noir souvent, parfois cinglant, tendre parfois et même il peut être très délicat.
Être garçon devenir homme, être fille devenir femme voie homme, comme de robot s’humaniser et en croisement de toutes ces métamorphoses rien ne semble interdit ou presque. Il s’agit bien de contes, de fables, de mythe même. Ce mythe de la construction de soi impossible sans amour, qui à aimer de la matière plus que du vivant. Et l’autre mythe qui en découle, celui de créer une personne artificielle, de posséder un robot humanoïde afin de se croire aimé.
Pommerat s’est entouré d’artistes exceptionnels qu’il faudrait tous citer, absolument tous, je le fais dans l’immense chapeau de cette critique. Décors, costumes, perruques, musiques tout ce qui constitue le mouvement scénique a une perfection incroyable. Les acteurs et les actrices, sans âges ni sexes comme la pièce nous donne à le croire sont attachants, irritants, toujours justes : du grand art, du bluff total c’est parfait… Ils ont entre dix et quinze ans, on n’en doute pas un instant, vraiment, c’est inouï !
Je ne dévoilerai que la première scène qui pose tout l’air de rien. On y découvre un garçon de 15 ans pas plus, parler comme le plus vil des proxénètes, manipulant son « copain » avec méchanceté et s’adressant à une femme qu’il prend pour un robot avec dégoût et envie entremêlées. Toute cette ambiguïté de l’adolescence est là. Enfant et adulte à la fois, violent et rempli de peurs, vivant ou virtuel, mais seul, complètement seul pour aborder ses difficultés.
Dans ce spectacle de Joël Pommerat il y a une sorte de conscience directe de ce que les adolescents d’aujourd’hui vivent ; à la fois dans cette modernité où le virtuel les enivre, tout en n’arrivant pas à occulter cette recherche de toute éternité de ce qu’est l’amour. Amour qui repose sur la bienveillance avec soi-même, à condition que les parents aient mis en place cette graine d’amour eux même, ou par virtuel interposé ?
Courrez voir cette merveilleuse pièce, courrez, adultes, ados, enfants ! La tournée n’est pas terminée. Contes et légendes ferait également un très beau film en sketches au cinéma ou à la télévision, ou sur un quelconque réseau social…. Toutefois c’est bien le théâtre avec son impact direct qui en révèle, par sa magie, la puissance dans cette beauté inoubliable. Le public en rangs serrés a participé au spectacle et a applaudi après chaque scène. Le succès a été au rendez-vous à Toulouse comme partout.
Critique. Théâtre. Toulouse. Théatredelacité, le 1 Avril 2022. Contes et légendes texte et mise en scène : Joël Pommerat. Avec : Prescillia Amany Kouamé ; Jean-Edouard Bodziak ; Elsa Bouchain ; Léna Dia ; Juliet Doucet ; Angélique Flaugère ; Lucie Grunstein ; Lucie Guien ; Marion Levesque ; Angeline Pelandakis ; Lenni Prézelin. Dramaturgie : Marion Boudier.
Assistante dramaturgie et documentation : Roxane Isnard ; Scénographie et lumière : Eric Soyer ;
Recherches / Création costumes : Isabelle Deffin ; Création perruques et maquillage : Julie Poulain ; Son : François Leymarie, Philippe Perrin ; Création musicale : Antonin Leymarie ; Musique originale enregistrée par : Eve Rissier, Clément Petit, Isabelle Sorling, Benjamin Bailly, Justine Metral, Hélène Marechaux ; Direction technique : Emmanuel Abate ; Régie son : Philippe Perrin ; Régie lumière : Gwendal Malard ; Régie plateau : Olivier Delachavonnery, Héloïse Fizet, Pierre-Yves Le Borgne, Damien Ricau, ; Habillage : Claire Lezer ; Perruques : Jean-Sébastien Merle ; Construction décors : Ateliers de Nanterre-Amandiers ; Construction mobilier : Thomas Ramon – Artom ; Renfort dramaturgie : Elodie Muselle ; Assistante observatrice : Daniely Francisque ; Habillage – Création : Tifenn Morvan, Karelle Durand, Lise Crétiaux ; Production : Compagnie Louis Brouillard ; Coproduction : Nanterre-Amandiers – Centre dramatique national, La Coursive – Scène nationale de La Rochelle, la Comédie de Genève, La Criée – Théâtre National Marseille, La Filature – Scène nationale de Mulhouse, Le Théâtre Olympia – Centre dramatique national de Tours, Espace Malraux – Scène nationale de Chambéry et de la Savoie, Théâtre français du Centre national des Arts du Canada – Ottawa, Bonlieu – Scène nationale d’Annecy, L’Espace Jean Legendre – Théâtre de Compiègne, La Comète – Scène nationale de Châlons-en-Champagne, Le Phénix – Scène nationale de Valenciennes, L’Estive – Scène nationale de Foix et de l’Ariège, la MC2 – Scène nationale de Grenoble, Le Théâtre des Bouffes du Nord, le Théâtre National de Bruxelles ; Les textes de Joël Pommerat sont édités chez Actes Sud-Papiers.
Photos : Elisabeth Carecchio
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