Inaugurée le 10 mars dernier à Toulouse, l’exposition “(Her)Manos” de Julie Imbert s’installe à l’Instituto Cervantes jusqu’au 29 avril. Un travail hommage envers le peuple latino-américain, rendu par le biais de la photographie de mains.
Nez à nez avec des mains qui ne sont pas les nôtres. Savonnées, colorées, travailleuses, en prise au temps ou aux déchirures, on ne peut qu’imaginer le sujet qui se cache derrière chaque cliché. À travers sa série (Her)Manos composée d’une vingtaine de photographies, Julie Imbert invite le public à découvrir ou redécouvrir le peuple latino-américain par la contemplation de leurs mains.
“Il y a chez le peuple latino-américain, une fraternité que je ne retrouve nulle part ailleurs”
Tombée amoureuse de la culture latino-américaine au fil de ses voyages et séjours, Julie Imbert n’a pas tardé à lier cette admiration à son travail de photographie. C’est d’ailleurs lors d’une de ces excursions que lui vient cette démarche spontanée : prendre en photo une population différemment. Interview.
- Quelle est la genèse du projet ?
Cette série fait suite à un voyage entamé en Colombie, qui s’est prolongé jusqu’au Pérou. Initialement, j’étais en déplacement pour tout autre chose. C’est lors d’une rencontre avec des photographes, pendant une sortie où on était parti avec l’idée de documenter la ville en photos d’architectures, que j’ai vécu une rencontre spontanée. Durant la cession, j’ai observé un ouvrier non loin de moi. Je voulais parler avec lui, en apprendre plus. Et comme j’avais déjà travaillé autour des mains dans une autre expo à Toulouse, ça m’a paru évident. Raconter le quotidien et les aspérités d’un peuple à la simple vue des petites mains, le projet (Her)Manos a vu le jour.
- Pourquoi le nom (Her)Manos ?
Les Latino-Américains s’appellent naturellement “frère” (hermano). Il y a chez le peuple latino-américain, une fraternité que je ne retrouve nulle part ailleurs. Ce nom est le symbole de mon ressenti général à la fin de ce travail.
- Que souhaitez-vous transmettre avec cette exposition ?
Avec ces documents, j’aimerais sortir de la “porno miseria”. Dès qu’on évoque la Colombie, les pays latino-américains, on pense à la violence, la drogue, la pauvreté… Alors oui il y en a, bien sûr, c’est pourquoi l’exposition commence avec une image d’armes. Mais il n’y a pas que ça, et heureusement. Je ne voulais pas aller dans ce même courant déjà traité. Je désire montrer que c’est aussi l’entraide, des quotidiens lambdas, des couleurs et des vies.
De plus, j’ai volontairement retiré les légendes de mes photos. À la place, des carnets ambulants que le visiteur peut commenter pour écrire sa propre légende. Ces mains peuvent être celles de n’importe qui, évoquer mille histoires. Je veux proposer autre chose, une exposition interactive.
- Enfin, cela n’a pas été trop difficile de monter le projet ?
Étonnamment non. Je suis tombée sur des personnes très bienveillantes pour soutenir le projet. Notamment Jean-Marc Laforêt, ancien ambassadeur français en Colombie. Il m’a dirigé vers une structure que je ne connaissais pas à l’époque, et sans qui tout cela n’aurait pas été possible, le musée des Amériques à Auch. Ils ont cru au projet, et j’ai été exposée rapidement grâce à eux. On n’en parle pas assez, mais leur travail pour la culture latino-américaine est superbe, ils possèdent la deuxième plus grande collection précolombienne de France. Et pour ce qui est de l’impression, j’ai pu collaborer avec le laboratoire photon à Toulouse, la qualité du rendu est très fidèle. Toulouse est un très bon incubateur pour la photo.
Un vernissage, une prestation
Pour accompagner le démarrage de l’exposition, un vernissage s’est tenu le jeudi 10 mars dernier devant 150 personnes. Sur place, des Toulousains venant de toutes les origines, des curieux, l’entourage de la photographe, et de véritables passionnés d’art.
Afin de dévoiler son travail, Julie Imbert était accompagnée de deux artistes et poètes, Manuel Rangel et Rodrigo Molina, dans le but de réaliser une prestation théâtrale. À l’accueil des visiteurs, une ambiance tamisée, une bande-son naturelle, enregistrée en Colombie, et de nombreux textes déposés au sol. Après quelques minutes passées dans cette atmosphère envoûtante, poètes et photographe ont tour à tour pris la parole au micro pour réciter un écrit conçu spécialement pour l’événement. Tantôt en Français, tantôt en Espagnol, les poèmes décrivant l’exposition ont soufflé aux bords des lèvres des créateurs, mais aussi sur celles du public parfois volontaire. “Manuel Rangel et Rrodrigo Molina ont tous les deux travaillé autour des représentations de (Her)Manos. Les textes ont été pensés entre la France et la Colombie. Ils incarnent toutes les significations trouvées par le public. Nous tenions aussi à interagir avec la salle, je suis très contente de cet instant partagé, le rendu était fort émotionnellement”, décrit Julie Imbert.
“Ces photos déconstruisent nos pensées sur ces populations”
Une fois la présentation terminée, les lumières revenues, les visiteurs ont arpenté l’exposition. À l’écoute de leurs témoignages, (Her)Manos est un travail à ne pas manquer.
Les couleurs sont belles, ces mains sont variées, on s’amuse à imaginer les vies qui sont derrière. Je trouve que ces photos déconstruisent nos pensées sur ces populations, on les observe dans leur quotidien.
Anna, 27 ans.
Ma préférée est celle qui représente les deux mains à travers le grillage. On ne sait pas ce qui s’y passe concrètement, mais moi, j’y vois un instant simple du quotidien, un geste de gentillesse spontané. Cette exposition nous emmène à être sensible à une autre échelle.
Marc, 43 ans.
C’est dingue, seulement en voyant ses mains, on peut en appendre tellement sur une personne. On peut deviner son âge, son quotidien, observer ses actions par son mouvement. C’est simple, mais je pense que c’est justement ce qui est pertinent quand on souhaite témoigner du vécu d’une population, se rapprocher de son quotidien.
Carla 18 ans.
Il est aussi à noter que cet événement prend place en amont d’autres rencontres latino-américaines, dans le cadre du festival CineLatino qui se tiendra du 25 mars au 8 avril. Pour ce qui est d’(Her)Manos, vous avez jusqu’au 29 avril pour en profiter. Enfin, si le travail de Julie Imbert vous intéresse, elle propose également des ateliers d’écriture créative le 8 et le 15 avril prochain, au cœur de son exposition.