En effet, dans le cycle Grands Interprètes, à la Halle aux Grains, à 20h, nous aurons deux monstres sacrés du piano, Evgeny Kissin le mardi 18 janvier et, trois jours après, Hélène Grimaud le vendredi 21.
Est-il utile de vous les présenter puisque, l’un comme l’autre sont des habitués de la salle mythique que représente la Halle, grâce à la structure qui a pu les inviter au cours de leur carrière passée et qui les voit revenir ensemble ou presque par les hasards de calendrier et exigences aussi dues à la pandémie.
Le programme de celui dont la maxime est : « Jouer bien, c’est dire ce que la musique dit », en l’occurrence EVGENY KISSIN est le suivant :
BACH-TAUSIG : Toccata et Fugue, en ré mineur, BWV 565
MOZART : Adagio, en si mineur, K. 540
BEETHOVEN : Sonate n°31, en la bémol majeur, opus 110
CHOPIN : 7 Mazurkas
B-Flat Major opus 7 # 1
G-Minor opus 24 # 1
C-Major opus 24 # 2
C-Minor opus 30 # 1
B-Minor opus 30 # 2
C-Major opus 33 # 3
B-Minor opus 33 # 4
CHOPIN : Andante Spianato, en sol majeur et Grande Polonaise brillante, en mi bémol majeur, opus 22
Chopin est bien le compositeur qu’il joue le plus souvent en concert et ce, pour une raison toute simple, c’est celui qui est le plus proche de son cœur, vous dira-t-il, sans qu’il puisse vous l’expliquer. Fusse-t-il que sur le plan pianistique, il fut un révolutionnaire, le seul, mis à part le jeune Scriabine, qui exige une telle souplesse de la main au piano.
Quant à sa biographie, nous voilà bien obligé de la résumer au maximum car le déclaré enfant prodige du piano approche de la cinquantaine et a déjà une longue carrière derrière lui. Cela fait maintenant près de quarante ans qu’il est acclamé aux quatre coins de la planète. En effet, à cinq ans, il est admis à la célèbre Ecole Gnessine de Moscou pour enfants surdoués, à 10 ans, il joue en concert un concerto de Mozart, le fameux n° 20, K.466, à 13, il fait sensation dans le Concerto n°1 de Chopin, et très vite d’ailleurs dans les deux, à 13 toujours, il fait son premier tour du monde de récitals ! à 14 encore, il donne le n°1 de Tchaïkovski avec le Philharmonique de Berlin dirigé par Karajan. À 19, ce sera un récital à guichets fermés au fameux Carnegie Hall de New-York. Tout cela avec derrière lui son unique professeur depuis ses débuts à 6 ans. Il va quitter Moscou pour New-York avec papa, maman et bien sûr sa “prof “, Anna Pawlova Kantor.
Il trouve le temps de se passionner pour l’histoire, la politique mais il est surtout fou de poésie depuis son enfance, essentiellement yiddish et russe, Pouchkine en tête. « Jouer de la musique et réciter de la poésie sont deux actes qui constituent une expérience très similaire. Dans les deux cas, vous devez interpréter une ouvre d’art écrite par un autre, l’animer, la restituer pour autrui. »
Il ne se rappelle pas un jour de sa vie sans être allé vers lui, en l’occurrence le piano bien sûr, et peut vous confier que la musique est le seul monde dans lequel il se sent le plus à l’aise, totalement, et où il se livre plus facilement. Il dit aussi préférer le récital au concert car il peut alors tout maîtriser, tout dépendant de lui uniquement. Et puis aussi, autre raison, ce sentiment de frustration qu’il peut éprouver, quelquefois, en concertiste ou en formation de musique de chambre de ne pas jouer beaucoup !! Et dans ses programmes, il préfère aussi les construire en s’appuyant sur des œuvres qu’il aime, affectionne davantage que démontrer l’ampleur de son répertoire.
Enfin, il veut donner la musique aux autres, à son auditoire, partager son plaisir et avoue beaucoup aimer les salles de concerts pleines. Servi à la fois par un toucher à la grâce confondante, par une clarté de jeu exemplaire, et sa maîtrise d’une virtuosité foudroyante, il possède, à un degré rarement égalé en public, un magnétisme qui, littéralement, met son public à genoux. Kissin EST un personnage.
Evgeny Kissin est aussi compositeur. Il a écrit Le Quatuor à cordes, (enregistré en 2017 par le Quatuor Kopelman et interprété en juillet 2017 par le Quatuor Modigliani aux Rencontres musicales d’Evian), 4 pièces pour piano seul (opus 1) et Sonate pour violoncelle et piano (opus 2), interprétée notamment par Steven Isserlis, Gautier Capuçon ou David Geringas. Son 4ème opus : Poème pour voix féminine et piano « Thanatopsis », inspiré de l’œuvre de William Cullen Bryant sera prochainement publié par son éditeur Henle Verlag.
Il est également auteur d’un récit autobiographique, son premier livre « Avant tout, envers toi-même sois loyal – Mémoires et réflexions d’un prodige de la musique » Éditions Le Passeur.
Hélène Grimaud, humaniste du XXIe siècle
« La musique m’a éduquée, elle m’a élevée. Bach, Mozart, Haydn, et plus précisément pour moi Rachmaninov, Brahms ou Chopin me parlent et, d’ailleurs, je les interroge souvent. » H. Grimaud
Hélène Grimaud n’est pas seulement une pianiste passionnée de musique qui joue de son instrument avec une grande poésie et une technique impeccable, elle s’est également révélée une grande avocate de la protection de la nature, une fervente militante des droits de l’homme et une femme de lettres talentueuse. À la Halle, trois jours après un certain Evgeny Kissin, son contemporain, elle se plaît à rappeler que, comme lui, elle fait carrière sans avoir gagné un concours d’envergure internationale, tout en se battant, pour sa part, contre moult préjugés pianistiques et physiques. Elle se révèlera une des artistes les plus douées et les plus authentiques de sa génération sans attendre la sacro-sainte maturité, principe que certains observateurs utilisent pour mesurer le talent. Drôle de curseur.
« Lorsque j’interprète une œuvre au piano, lorsque je cherche à transmettre sa transcendance, lorsque j’y parviens enfin et que je la dévoile, dans une sorte d’état de grâce, c’est l’amour que je regarde dans les yeux. C’est ce que m’enseignent les œuvres. » H. Grimaud.
Son programme pour ce 21 janvier est le suivant. Il est extrêmement diversifié et doit sûrement avoir un fil conducteur qui en fait son unité, fil que nous vous laissons découvrir :
Valentin Silvestrov Bagatelle I
Claude Debussy Première Arabesque en mi majeur
Valentin Silvestrov Bagatelle II
Erik Satie Gnossienne n°4
Frédéric Chopin Nocturne n°19 en mi mineur, opus 72 n°1
Erik Satie Gnossienne n°1
Danse de travers n°1 – En y regardant à deux fois (Six Pièces froides IV)
Claude Debussy La Plus Que Lente
Frédéric Chopin Mazurka en la mineur, opus 17 n°4
Grande Valse brillante en la mineur, opus 34 n°2
Claude Debussy Clair de lune, extrait de la Suite bergamasque
Rêverie
Erik Satie Danse de travers n°2 – Passer (Six Pièces froides V)
Robert Schumann Kreisleriana, opus 16
« Quand on passe sa vie en compagnie de compositeurs, de leur substance, de leur fibre expressive, ils deviennent des confidents. On arrive à glaner dans leur œuvre quelques réponses sur le sens de l’existence. » H. Grimaud
Née à Aix-en-Provence en 1969, elle se forme avec Jacqueline Courtin au conservatoire local puis à Marseille avec Pierre Barbizet. Elle est admise au Conservatoire de Paris dès l’âge de treize ans et remporte le premier prix de piano trois ans plus tard, en 1985. Elle poursuit sa formation avec György Sándor et Leon Fleisher. En 1987, elle donne son premier récital à Tokyo et est invitée par Daniel Barenboim à jouer avec l’Orchestre de Paris. C’est le début d’une carrière étincelante. Elle se produit avec de nombreux orchestres prestigieux sous la direction de chefs renommés.
« Être heureux, cela s’apprend, et si cela s’apprend, cela s’enseigne aussi. »
Hélène Grimaud est pianiste d’abord, sûr, mais n’est pas que pianiste. Ne pas signaler ici son attachement immarcescible pour les Canis lupus serait fort désolant. C’est sa rencontre fortuite avec un loup, dans le nord de la Floride, qui fait naître son amour pour l’espèce en danger et la décide à ouvrir un centre de sensibilisation à l’environnement. « Pouvoir participer activement à la protection des animaux et les remettre à la place qui est la leur, il n’y a rien de plus gratifiant », estime-t-elle. Mais l’engagement d’Hélène Grimaud ne s’arrête pas là : elle est également membre de l’organisme Musicians for Human Rights, un réseau mondial de musiciens et de personnes travaillant dans le domaine musical qui s’attachent à promouvoir une culture des droits de l’homme et du changement social. Toutes ces passions ne pouvaient que conduire notre artiste à l’écriture et ce seront trois livres plus ou moins autobiographiques livrés.
Hélène Grimaud enregistre en exclusivité pour Deutsche Grammophon depuis 2002. Ses disques ont fait l’objet de louanges et reçu de nombreuses récompenses. Depuis Réflexions et Credo, chaque disque correspond à une idée que la pianiste aime à illustrer. Cela peut être aussi une forme d’hommage à un seul compositeur. Ils seront nombre parmi lesquels on peut citer Résonances, Duo, un fort original nommé Water, Perspectives, Memory…
Dans son dernier album, The Messenger, sorti le 2 octobre 2020, Hélène Grimaud crée un dialogue captivant entre Valentin Silvestrov et Mozart. « Les couplages inhabituels m’ont toujours intéressée parce que j’ai le sentiment que certains morceaux peuvent donner un éclairage particulier à d’autres », explique-t-elle. C’est la Camerata Salzburg qui l’accompagne dans le Concerto pour piano n° 20, K.466 de Mozart et les deux pages de Silvestrov, Two Dialogues with Postscript et The Messenger – 1996 dont une version pour piano seul figure également sur le disque. Les Fantaisies de Mozart en ut mineur et en ré mineur complètent le programme.
« Les loups symbolisent les difficultés de notre relation avec la nature et représentent une tâche essentielle dans notre effort global de conservation. Ils jouent un rôle crucial dans l’environnement ; ce sont des bâtisseurs de biodiversité dans leur écosystème, qui est l’essentiel de l’hémisphère nord. »
La saison 2021-2022 s’annonce foisonnante, histoire d’effacer au maximum les deux passées si frustrantes pour les artistes d’abord, et leur public ensuite.