Le retour d’Alexandre Kantorow au cœur du festival Piano aux Jacobins a attiré une fois encore la foule des mélomanes de Toulouse et d’ailleurs. Ce 14 septembre dernier, la salle capitulaire et le cloître dans son ensemble ont fait le plein d’un public enthousiaste, chauffé à blanc par le jeu éblouissant du jeune pianiste. Au point de conclure la soirée par une ovation debout comme il est rare d’en observer dans de telles circonstances. Mais quel est donc le secret de ce jeune interprète qui emporte l’adhésion de tous ?
Alexandre Kandorow aux Jacobins – Photo Classictoulouse –
En fait, il ne s’agit pas d’un secret, mais tout simplement d’un talent d’exception. Faut-il le rappeler ? Alexandre Kantorow (né à Clermont-Ferrand en 1997) a explosé dans le monde musical grâce à sa victoire (premier prix et médaille d’or) au Concours international Tchaïkovski de piano en juin 2019, lors de sa seizième édition. Ce fut la première fois qu’un Français remporta le premier prix de la plus prestigieuse des compétitions internationales pour instrumentistes. Ce fils d’une mère violoniste et d’un père à la fois violoniste et chef d’orchestre mène depuis une carrière internationale d’une envergure exceptionnelle, aussi bien comme concertiste soliste qu’en musique de chambre.
Le public de cette soirée était convié à un récital consacré à deux compositeurs en lesquels le pianiste trouve à épanouir ses dons exceptionnels. Pourtant, a priori l’image du fougueux, charmeur et virtuose Franz Liszt ne ressemble en rien à celle, bourgeoise et nettement plus traditionnelle que l’on attribue trop souvent à Johannes Brahms. Alexandre Kantorow se charge de bousculer les traditions.
Le pianiste pratique tout au long de ce concert un jeu coloré, spontané, loin de toute affectation, comme s’il était lui-même le compositeur des œuvres qu’il aborde. La soirée s’ouvre et se conclut sur deux œuvres majeures du jeune Brahms qui entourent l’une des partitions les plus virtuoses de Liszt.
L’intégrale des quatre Ballades de l’opus 10 de Brahms permet à l’interprète d’explorer l’ensemble des expressions musicales caractéristiques du compositeur à cette époque. Sans souligner à l’excès l’austérité qui parfois affecte leur écriture, Alexandre Kantorow confère à ces quatre pièces un relief étonnant. De l’ombre, qui ouvre le premier volet, à la menace, aux tempêtes qui ne manquent pas d’animer ces pièces emblématiques du romantisme, le tableau s’avère proche des toiles de Caspar David Friedrich…
La vaste sonate n° 3 en fa mineur opus 5 qui conclut le cycle des trois sonates du même jeune Brahms (il a alors à peine vingt ans) occupe toute la seconde partie du concert. La durée et la complexité de l’œuvre a permis à Robert Schumann de la qualifier de « symphonie déguisée ». C’est précisément dans cette optique d’un piano-orchestre qu’Alexandre Kantorow l’aborde et en développe la démarche. La structure en cinq mouvements lui permet une exploration de toutes les facettes colorées de l’écriture, de la grandeur initiale à la lumière ou même à la danse. Il s’agit bien ici de la musique du jeune Brahms, sans la barbe ni le gros ventre que dévoilent les photos de l’homme mûr.
Alexandre Kantorow © Stéphane Delavoye
Entre ces deux partitions brahmsiennes, le jeune pianiste se plonge, nous plonge, dans le délire hallucinatoire de l’une des partitions les plus difficiles de tout le répertoire pianistique, Après une lecture du Dante : Fantasia quasi sonata de Franz Liszt. Publiée dans le second volume des Années de pèlerinage, cette pièce est inspirée de la lecture du célèbre poème épique La Divine Comédie, de Dante Alighieri. Au-delà d’une technique pianistique stupéfiante, Alexandre Kantorow s’investit corps et âme dans cette exécution, comme si sa vie en dépendait. Basant son jeu sur les nuances et les phrasés les plus extrêmes il explore toutes les facettes de cette pièce complexe, là aussi quasiment symphonique. Une ovation triomphale accueille bien évidemment cette interprétation « historique ».
A l’issue d’un tel programme, aussi vaste que techniquement éprouvant, le jeune interprète, frais comme un gardon, n’offre pas moins de trois bis à un public en transe. Après l’un des Sonnets de Pétrarque de Franz Liszt, il déchaîne encore son incroyable technique dans une transcription hallucinante d’un certain Guido Agosti du final de L’Oiseau de feu de Stravinski. Le troisième bis, une musique de film, reste mystérieux, puisque personnel et offert par l’interprète à l’une de ses connaissances…
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Festival International Piano aux Jacobins