C’est proprement événementiel, La Gioconda, une œuvre d’Amilcare Ponchielli, entre enfin au répertoire du Théâtre, presque cent quarante-cinq ans après sa création en 1876 à Milan. Cinq représentations à partir du vendredi 24 septembre pour découvrir l’œuvre majeure d’un compositeur plutôt discret. Le rôle-titre, épuisant et d’une grande difficulté, constitue une véritable performance pour la chanteuse. Il faut être en mesure d’incarner le lyrisme d’une amoureuse, la fureur d’une femme trahie et mue par la vengeance et le désespoir qui la pousse au suicide. Ah, ce fameux : « Suicidio ! ».
Roberto Rizzi Brignoli
Né en 1834, Amilcare Ponchielli fut un compositeur éclectique, très marqué par les œuvres de maturité de Verdi. La Joconde constitue son cinquième opéra. L’ouvrage en quatre actes se caractérise par une succession de catastrophes et de terreurs, de coups de théâtre mais à l’efficacité dramatique indéniable, ponctué par, régulièrement, ses airs, duos et trios enflammés d’amour ou de rage difficilement contenue. Le livret est construit à partir d’écrits réunis sous le titre d’Angelo, tyran de Padoue d’un certain Victor Hugo, le librettiste étant Tobia Gorrio qui n’est, ni plus ni moins que le célèbre Arrigo Boito, compositeur de l’opéra Mefistofele donné à Milan en 1868 et dont le confinement a pu nous priver la saison passée. Ce musicien de grand talent en a fait un vrai mélodrame italien, certains parlant même de quintessence du mélodrame romantique, qui ne peut qu’être apprécié par ceux qui aiment l’opéra italien de cette période de création, coincé qu’il est entre le romantisme de Verdi et le vérisme qui approche. On souhaite bien évidemment que d’autres mélomanes, fans d’opéras adhèrent à cette partition qui, à la création à Milan, a déclenché presque trente rappels à la première !!!! Ce qui n’empêchera pas le compositeur de se livrer à moult modifications et ajouts et retraits au fil des scènes où son opéra sera donné, le seul d’ailleurs ayant recueilli quelques succès pour une dizaine de composés. Il faudra attendre la scène de l’opéra de Rouen en 1895 pour l’entendre en France.
Olivier Py © Carole Bellaïche
Le synopsis n’est pas de nature trop “abracadabrantesque“ mais …les surtitres seront de grande utilité. On espère alors avec vigueur que le metteur en scène saura rester dans l’esprit du librettiste, sans débordements intempestifs. À la direction de la production, on retrouve Olivier Py et son inséparable décorateur-costumier Pierre-André Weitz qui devront faire le meilleur sort côté théâtre, à cet ouvrage fortement de style “grand opéra“ comme la plupart des créations autour de 1876. Les Lumières sont devenues un accessoire primordial. Elles sont confiées à Bertrand Killy. Les six types de voix sont présents avec du ténor à la basse, et de la soprano à la voix de contralto. Et Ponchielli maîtrisant parfaitement “l’art des ambiances“, tous les exemples fort reconnaissables qu’il donne à chanter partent d’une idée mélodique mémorable, brillamment développée, d’une immédiate séduction vocale. Les chœurs, masculins comme féminins sont très présents surtout les premiers. Ils participent eux aussi à cette séduction que la voix peut exercer sur tout amateur du chant.
Béatrice Uria-Monzon © Philippe Gromelle
La première voix intervenant est la basse avec Barnaba, un chanteur des rues doublé d’un espion à la solde de l’Inquisition et du Doge de Venise. Il est amoureux fou d’une très belle chanteuse populaire, comme lui, surnommée La Gioconda – la Joconde – voix de soprano dramatique mais cela n’est guère réciproque. Présente aussi, La Cieca – l’Aveugle – la mère de La Gioconda, voix de contralto. Cette dernière voue une passion à un prince banni de Venise, Enzo, voix de ténor, et qui est là, incognito car il est l’amant de Laura, voix de mezzosoprano, l’épouse du Doge, Alvise, voix de basse. Gioconda a appris que l’objet de son amour est plutôt épris de la femme du Doge, ce qui déclenche chez elle, un sentiment de folle jalousie la conduisant à des idées de meurtre. Jalousie féroce aussi chez Barnaba qui ne sait par quel moyen obtenir les faveurs de La Gioconda. Jalousie qui conduira la femme convoitée jusqu’au suicide et l’instigateur jusqu’au meurtre de la mère. Pas très gai tout cela, mais nous sommes à l’opéra. Enzo et son amante adultère pourront fuir sur la barque les conduisant sous des cieux plus cléments.
La Gioconda, c’est Béatrice Uria-Monzon que le Théâtre a accueillie à plusieurs reprises. Barnaba pour qui on ne peut avoir guère de sympathie, c’est Pierre-Yves Pruvot que vous avez entendu récemment dans le rôle tout autant antipathique de Klingsor dans Parsifal. Isepo, l’écrivain public, le scribe qui rédige la lettre de dénonciation de Barnaba adressée au Doge lui apprenant l’infidélité de son épouse, c’est le ténor Roberto Covatta entendu dans La Force du destin, ici même. La Cieca est interprétée par Renée Morloc. Laura c’est la mezzo Varduhi Abrahamyan. Quant à Alvise, c’est la basse Marco Spotti. Et le ténor si convoité, c’est Ramón Vargas, une gloire sur scène depuis plusieurs décennies. Il a l’immense responsabilité de chanter cette fameuse mélodie “Cielo e mar“, réussite complète dans laquelle le compositeur perpétue le culte donizettien de l’aria, aria suggérée, paraît-il, par le plus grand ténor alors de sa génération, un certain Julián Gayarre, la “voix d’or“ navarraise.
Chœurs et Maîtrise du Capitole / Alfonso Caiani © © David Herrero
La partition orchestrale étant particulièrement intéressante, les chœurs très présents, et le livret très prenant, il faut un chef d’attaque et ce sera Roberto Rizzi-Brignoli qui sera à la tête des musiciens de l’Orchestre national du Capitole et des Chœurs et Maîtrise du Capitole préparés avec acharnement par leur Directeur Alfonso Caiani. Un chef à l’impressionnante carte de visite dans le domaine de la direction d’ouvrages d’opéras.