COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE. CAPITOLE. Le 26/9/2020. W.A. MOZART. COSI FAN TUTTE . I. ALEXANDRE. Orch.Nat CAPITOLE. S. SCAPPUCCI.
Le Cosi de Toulouse nous rend à la vraie vie !
Comment avons-nous pu tolérer cette abomination ? Rester sans opéra si longtemps et trembler de voir cette soirée annulée. Comment la peur a pu ainsi nous voler notre passion pour l’opéra ? Je me demande si nous n’allons pas, au train où vont les choses, parler d’une aire avant et après Covid en uniformisant le calendrier mondial….
Le personnel de la billetterie doit être félicité pour la patience et la gentillesse de son accueil tant téléphonique que derrière les guichets. Les placeurs à l’entrée pour leur fermeté bienveillante et leur efficacité. Et quelle sagesse dans le public ! Tous masqué mais pas étouffés et sachant applaudir pour soutenir les chanteurs et la cheffe ! C’était un bonheur de retrouver l’opéra et déjà cela aurait été sensationnel. Mais en plus Christophe Ghristi a su choisir un opéra idéal pour fêter des retrouvailles. Le Cosi de Mozart et Da Ponte contient des airs de toute beauté et des ensembles virtuoses. L’émotion amoureuse y passe par tous ses affres en trois heures de musique sublime ! Et l’orchestre n’est pas en reste qui parfois en suggère encore plus que les chanteurs. Notre bonheur fut total. Car l’œil au grand jamais n’a été meurtri. La beauté des lumières a tout particulièrement magnifié les costumes et le décor. La mise en scène d’Ivan Alexandre est l’élégance même, le bon gout à chaque instant. Chaque didascalie est respectée, l’esprit de Mozart diffuse avec juste ce qu’il faut de farce. L’émotion amoureuse se déploie avec des chanteurs-acteurs tous magnifiques.
Jeunes, beaux, voix équilibrées et jeux de vif-argent nos six solistes sont merveilleux. Le jeu est très travaillé et se sert des particularités physiques de chacun avec intelligence et efficacité. L’immense Jean-Fernand Setti du haut de son double-mètre devient de simple entremetteur un inquiétant metteur en scène, démiurge qui semble tout maitriser. La voix de stentor rajoute de la puissance au personnage. Je me plais à l’imaginer en Scarpia tant son physique et son jeu peuvent être inquiétants.
Le Guglielmo d’Alexandre Duhamel a lui aussi une stature imposante, la rondeur du timbre assortie au torse puissant. Voix agréable et bien timbrée il joue avec justesse. En Ferrando, le délicat Mathias Vidal apporte un timbre ensoleillé et conduit son chant avec beaucoup d’émotions. Sa pâmoison au moment de la trahison de Dorabella est savoureuse quand il est porté sur les épaules comme un fétu de paille. L’émotion du « Tradito, scernito… » et surtout son engagement dans le grand duo avec Fiordilgi sont magnifiques. Les dames ne sont pas en reste avec des timbres exquis, une élégance de Watteau et une jeunesse réjouissante.
Les deux sœurs sont taquines et attachantes. Les timbres se marient à ravir. Duos, trios sont de purs instants de magie. Julie Bouliane a un timbre rond et chaud qui fait de sa Dorabella un tempérament amoureux passionné. J’y retrouve la rondeur et la richesse harmonique d’une Christa Ludvig. La Despina de Sandrine Buendia est tout simplement parfaite. Voix intéressante et particulièrement bien conduite mais également actrice impayable. Quel personnage incroyable ainsi rendu à une sorte de naturel roué, mêlant ingénuité et malice dans un sourire irrésistible…
Ainsi toutes les incohérences du livret s’avalent sans hésiter. La Fiordiligi d’Anne-Catherine Gillet restera un souvenir lumineux. La franchise de l’émission, payant comptant, le jeu énergique à fleur de peau, font de sa Fiordiligi une vraie amoureuse crucifiée entre devoir et volonté d’un côté et sentiments tendres et corps sensible de l’autre. Le développement de sa voix fruitée de soprano lui permet d’exprimer un tempérament scénique plus vaste. Le rôle de Fiordiligi est un jalon important dans sa carrière. Sa fragile Sophie de Werther a bien grandi sans rien perdre de son charme exquis. Toute la fin de l’opéra lui offre des moments de chant et de théâtre bouleversants, absolument inoubliables.
Le chœur disposé en loges d’avant-scène est bien chantant et d’une présence parfaitement équilibrée.
Dans la fosse l’Orchestre du Capitole est fantastique avec ses bois amoureux des voix, ses cordes de vif-argent et un continuo de grande intelligence. La direction de Speranza Scappucci est théâtrale et avance avec énergie. Elle soigne particulièrement certains contre-chants leur donnant un bel éclairage mélancolique. Car l’orchestre de Mozart est dans Cosi un véritable personnage qui colore le comique de profondeur et allège le drame afin d’éviter le pathos. Ivan Alexandre nous propose un spectacle pirandellien. La double mise en abyme du spectacle fonctionne parfaitement, il y a le théâtre dans le théâtre sur trois niveaux, c’est assez classique et très efficace ; il y a également le jeu qui est mis en abyme.
Le jeu scénique et le jeu de carte ainsi que le jeu social, tout s’imbrique, s’invite dans le décor et donne une dimension symbolique à tout le spectacle. Le tréteau concentre l’action et l’omniprésence de Don Alfonso sert l’action. Après le temps des costumes, maquillages outrés, masques et perruques du plus haut comique, les hommes se rendent reconnaissables et cela jette encore d’avantage de trouble dans l’action.
Nous avions besoin d’un spectacle comme celui-ci : Beau, intelligent, émouvant, musical.
Le Capitole nous rend à la vie. Comme il nous a manqué cet auguste théâtre ! Il est de retour en sa plénitude. Il y a résonné les plus beaux chants et le théâtre y a régné sans partage. Grazie mille a tutti ! Bravissimo !
Compte-rendu Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole le 26 Septembre 2020.Wofgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Cosi Fan Tutte, opéra bouffe en deux actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte ; Mise en scène : Ivan Alexandre ; décors et costumes, Antoine Fontaine ; lumières, Tobias Hagström-Stahl ; Avec : Anne-Catherine Gillet, Fiordiligi ; Julie Bouliane, Dorebella ; Sandrine Buendia, Despina ; Mathias Vidal, Ferrando ; Alexandre Duhamel, Guglielmo ; Jean-Fernand Setti, Don Alfonso ; Orchestre National du Capitole ; Chœur du Capitole – Alfonso Caiani, direction ; Speranza Scappucci, direction musicale.