D’autres coups de cœur. Ce n’est pas du luxe, compte tenu de la conjoncture actuelle, des incertitudes permanentes en particulier dans le domaine culturel, et de la liste des annulations qui ne cesse de s’allonger.
De l’autre côté du rêve : des sources profondes
Collections de la Fondation des Treilles (1)
Fondation Bemberg
Exposition temporaire jusqu’au 1er novembre 2020
« La source m’éveille chaque matin, j’entends le bruit de l’eau, celui des artistes qui s’expriment » Anne Gruner Schlumberger (1905-1993).
Anne Gruner-Schlumberger avait l’œil et, au fil des décennies, au gré de ses rencontres avec divers artistes, elle avait su s’entourer de créations tout à fait représentatives, sinon de tous les courants esthétiques de la modernité, du moins d’un fort bel ensemble autour du surréalisme et de quelques excellentes pièces d’artistes appartenant à de tout autres courants.
Cette mécène éclairée a rassemblé au cours de sa vie une importante collection de plus de trois mille pièces, léguée par elle à la Fondation des Treilles (2), à Tourtour dans le Var, à proximité de Draguignan et du Parc régional du Verdon ; « un lieu de rencontres où créateurs et chercheurs puissent se retrouver »qu’elle a créé dans l’esprit des générations précédentes de sa famille, et qui lui survit.
Je me suis surtout attardé devant les douze peintures emblématiques de Victor Brauner, artiste venu des Carpates, ponctuées des sculptures africaines qu’il fit découvrir à sa mécène. Des personnages hybrides issus d’une mythologie personnelle, d’étranges totems déguisés en êtres humains paradent sur les cimaises). Inconditionnelle de l’homme et de son œuvre, Anne Gruner Schlumberger lui a acheté au total seize œuvres : la qualité de ces toiles est la preuve que l’amitié, à la différence de l’amour, ne rend pas aveugle.
Ailleurs, c’est un autre pilier du surréalisme, Max Ernst, qui fait la démonstration d’une variété des techniques qu’il manipulait – peinture à l’huile, Paysage au germe de blé, 1935 ; mine de plomb et frottage, Jardin mystérieux, 1925 ; ou sculpture, Oiseau-tête, 1934. Ce champion du collage métamorphosait la réalité en un univers énigmatique. Un nu debout dessiné par Alberto Giacometti, de beaux papiers collés d’Henri Laurens, plusieurs œuvres de Fernand Léger dont le puissant Contrastes (1959) ou des sculptures vibrantes de Takis : si les pièces de Pablo Picasso nous donnent envie de revenir au Musée de Céret qui devrait rouvrir prochainement après une phase de travaux), cette immersion dans les rêves d’artistes aussi différents ne peut laisser indifférent ; bien au contraire, elle suscite des rêveries colorées comme le titre le suggère parfaitement.
Hôtel d’Assézat Place d’Assézat 31000 Toulouse Tél. 05.61.12.06.89
Tarifs : Adulte : Entrée musée + expo : 10€
Enfant à partir 8 ans : Entrée musée + expo : 8€
Visite guidée de l’exposition temporaire à 14h30 (suppl 3 €)
Mardi, Jeudi, Samedi et Dimanche
Réservation obligatoire : 9 personnes maxi
À noter que la Fondation fermera ses portes fin 2020 pour un important chantier de rénovation d’un an. C’est le moment de visiter aussi ses collections permanentes.
Aux Oréades de Luchon, l’Art décoratif de Gorodets : un émerveillement
Les Oréades ou nymphes des montagnes, (du grec « Oros » montagne), ces nymphes étaient particulières. Cortège d’Artémis, Déesse de la Nature, elles n’hésitaient pas à franchir les cols, gravir les cimes, mais aussi chasser le cerf, le sanglier ou tirer à l’arc sur les oiseaux de proie. Elles aimaient jouer avec les Néphélées, les Nymphes des nuages, qui les frôlaient lors de leur passage près des sommets. Ce n’étaient pas des déesses à proprement parler puisqu’elles étaient mortelles, mais elles vivaient plusieurs milliers d’années et étaient considérées comme des esprits de la nature ; insouciantes et bienveillantes, toujours exceptionnellement belles et gracieuses, les Oréades fertilisaient celle-ci partout où elles se trouvaient : les forêts, les vallées ou les montagnes, les rivières, les étangs… Elles protégeaient les amoureux, étaient parfois guérisseuses et, comme les Muses, elles inspiraient les hommes.
Aujourd’hui, si ces divinités ont été exilées du monde moderne comme les fées ou les elfes qui ont enchanté mon enfance, nul doute qu’elles ont inspiré Monsieur Paul Rosenfeld, fondateur des galeries d’art ainsi nommées, et en particulier celle de Luchon (après Toulouse, Paris, Moscou), où il expose actuellement des chefs-d’œuvre de l’Art décoratif de Gorodets,.
La peinture de Gorodets existe depuis le milieu du XIXesiècle. Des motifs lumineux et concis reflètent des personnages, des figures de chevaux, des coqs, des ornements floraux. Elle m’évoque un peu les tapisseries de Dom Robert à Sorrèze, sans le côté mystique. La peinture est réalisée avec un coup de pinceau libre, décore souvent les meubles pour les enfants, les boites, les figurines, les volets, les portes.
Les motifs lumineux peints sur un fond noir ou blanc représentent des ornements, des fleurs, des scènes ou des animaux et viennent décorer des meubles, des volets, des meubles ou des objets.
Objets du quotidien panetière, boite aux lettres, coffre etc., mais aussi icones ou œuvres décoratives, avec des motifs comme la Bataille de Borodino, des scènes familiales ou bucoliques, réalisés par deux équipes artistiques différentes, dans la tradition des Maîtres de Gorodets qui est du grand Art. Mr Rosenfeld a découvert celui-ci par hasard lors d’une croisière sur la Volga, et a décidé de le faire connaître en France et dans sa galerie de Moscou, malgré les difficultés administratives.
Un émerveillement à ne pas rater si vous passez par Bagnères-de-Luchon.
69 allées d’Étigny 31110 Bagnères-de-Luchon 05 61 79 06 66
Un livre : « Le Lézard et la Mosaïque » de Pierre Domengès
Comme je l’ai écrit dans ma précédente chronique sur Culture 31, Pierre Domengès excelle dans le genre de la nouvelle (déjà dans Territoire ennemi), où il fait se croiser des personnages généreux et attachants, entêtés à prendre les chemins de traverse ; comme lui sans doute.
Il est capable de changer de style de l’une à l’autre : dans Idiot Waltzpar exemple, sa narration qui colle à un espèce de road-trip, est plus resserrée que dans la première, où le récit est plus nonchalant, ce qui va parfaitement à la description du processus intellectuel du personnage central. Ce sont les récits plus courts qui lui réussissent mieux, à mon goût, comme dans Hammered, où il évoque le vieux Lemmy à la tête de moteur, très rock and roll bien sûr, et dans The crusher, quintessence de polar à la Hammett dans une Barcelone franquiste de fin de civilisation, hallucinant !
Ses citations musicales (Robert Johnson, Joe Strummer, Johnny Cash, Damia et bien sûr mon cher Léo Ferré etc…) et poétiques (Lorca, Machado, St Ex), sont un régal.
La couverture de Cati Leclère est superbe et au final le Lézard onirique de Pierre Domengès me fait penser à un Caméléon, tant il change de couleurs au contact de la mosaïque humaine.
Disponible : www.editions-arcane17.net et aux Tontons Flingueurs (Restauration, Tapas et Concerts), 2 Rue du Corps Franc Pommies 65000 Tarbes 09.71.34.04.40
Un disque : Léo & Co : « Monsieur Claude »
Superbe tribute à Mr Claude Nougaro : la quintessence de son art avec les arrangements respectueux de Philippe Léogé (« 1èreporte sur l’Amour » selon Mr Claude) dont on découvre la voix de crooner, mais aussi l’inventivité et le feeling du Trio qu’il compose avec ses fils, Jordi à la batterie, et Denis à la contrebasse, avec lesquels on ne se pose même plus la question de savoir s’il existe une hérédité artistique et talentueuse. Il fait chaud au cœur dans la conjoncture actuelle et est devenu un de mes disques de chevet. À noter que les Léogé, et l’excellent saxophoniste Alessandro Torcello, animent les apéritifs du Castel d’Alti, le lieu le plus classieux (comme disait Gainsbourg) de Luchon, du mercredi au dimanche jusqu’à fin septembre. Le disque est disponible sur place
Le Castel d’Alti 17 Allée d’Etigny, 31110 Bagnères-de-Luchon
Tel : 05 61 94 41 58
Pour en savoir plus :
1) Les Treilles
705, chemin des Treilles 83690 Tourtour – France
Tel. +33 (0)4 94 50 57 50
Tel. +33 (0)4 94 50 57 50
Anne Gruner Schlumberger soulignait la filiation de cet espace destiné à « offrir un lieu de rencontres où créateurs et chercheurs se retrouvent » avec l’œuvre des générations précédentes de sa famille : « J’inscris la Fondation comme un descendant des trois premiers créateurs de Schlumberger, dont l’éthique était de faire confiance à des jeunes, d’être le creuset d’idées nouvelles et de collaborer à des projets dans le monde entier. »
Parallèlement à la construction du domaine, Anne Gruner Schlumberger a rassemblé un nombre important d’œuvres d’art dont elle a légué une partie, 800 pièces environ, à la Fondation des Treilles. Y figurent Dubuffet, Giacometti, Picasso, Max Ernst ou Victor Brauner qu’elle a personnellement connus et avec lesquels ont existé des liens d’amitié dont témoigne sa correspondance, ainsi que des œuvres d’artistes plus récents.
Victor BRAUNER, Lа-bas III, 1949, Huile et cire sur toile 100 x 81 cm Signйe en bas а droite et datйe XII. 1949, titrйe en bas а gauche Inv. 990.71 • cl. Jacqueline Hyde © ADAGP, 2020.
Dans la logique des expositions consacrées aux collections privées, la Fondation Bemberg présente du 26 juin au 1er novembre 2020, celle, tout à fait exceptionnelle, de la Fondation des Treilles, présidée par Maryvonne de Saint Pulgent, collection constituée par Anne Gruner-Schlumberger (1905 -1993) dans son domaine de Tourtour. La Fondatrice des Treilles avait le goût des collections, et mêlait avec éclectisme et talent le marbre des antiques au métal des hautes tiges flexibles de Takis, l’art moderne le plus rare et l’art populaire le plus modeste, les lampadaires de Giacometti aux tables des réfectoires des couvents, les coffrets de mariage bourguignons aux papiers découpés des cubistes. Elle souhaitait également qu’après sa disparition, une partie des œuvres de sa collection aillent de ville en ville vers le grand public. C’est la raison d’être de cette exposition.
Commissariat : Danièle Giraudy, Conservateur général honoraire des Musées de France, chargée des collections et des expositions de la Fondation des Treilles.
Scénographie : Constance Guisset