Compte-rendu concert. Quarantième Festival International de Piano. La Roque d’Anthéron. Parc du château de Florans. Auditorium, le 18 Août 2020. Frédéric Chopin (1810-1849) : Intégrale des Nocturnes. Bruno Rigutto, piano.
Rigutto chante et nous enchante avec les Nocturnes sous le ciel étoilé.
Sur le papier ce concert a tout pour faire rêver. Le lieu, magique autant le jour que la nuit, en tous cas inoubliable de nuit. Le compositeur, Frédéric Chopin qui a dédié sa vie au piano. L’œuvre en particulier : l’intégrale des Nocturnes est sensationnelle. Quand un groupe de Nocturnes peut créer une ambiance spéciale dans un récital et faire se pâmer le public dans un bis quel effet peut faire une telle intégrale ? Et surtout ce soir nous espérons avoir l’interprète idéal : Bruno Rigutto qui vient d’oser une nouvelle intégrale des Nocturnes au disque, plus intense et à la fois plus fragile que sa première version de 1980.
Toutefois l’effet d’annonce est dangereux car l’idéal convoqué ne va pas de soi. Écouter des Nocturnes la nuit bien joués ne fait pas obligatoirement le bonheur. Car la structure d’un Nocturne tel que Field l’a plus ou moins inventée et que Chopin a fait sienne est assez répétitive. Souvent une basse plutôt dansante à la main gauche et une main droite qui chante et semble improviser. Le génie de Chopin durant toute sa vie est d’avoir accepté cette simplicité de départ pour en varier les possibilités à l’infini tant en termes de complexité rythmique, de chant éploré et de virtuosité délicate dans des moment parfois théâtraux. Lui qui aimait tant le bel canto et admirait le chant des divas. Bruno Rigutto est tout acquis à ces Nocturnes qui l’accompagnent régulièrement. Il a un répertoire très vaste mais Chopin est associé spécialement pour moi à cet artiste. Il dit lui-même avoir voulu réenregistrer ces Nocturnes afin de montrer qu’il était devenu plus sensible. C’est cela être artiste, vivre avec les chefs d’œuvres et les interpréter différemment chaque fois, tout en maintenant un cap.
Ce concert a été marqué par une écoute particulièrement délicate du public. Bruno Rigutto s’est présenté avec les partitions ; en « tourneuse de pages », l’accompagnait son épouse, présence tutélaire apaisante et concentrée, aux gestes élégants et sûrs.
Cet appui sur la partition donnait une sorte de tenue, de sérieux qui a aidé à canaliser l’émotion. Ce qui a paru un peu étrange au début s’est révélé très important. La facilité apparente de ces nocturnes, la forme répétitive dont je parlais, se révèle redoutable en fait. Et justement parce que la plupart des Nocturnes sont connus par cœur par l’auditeur, il faut se méfier de cette apparente facilité. Le respect dont fait preuve Bruno Rigutto est donc visuellement clair et cela met en alerte l’oreille qui peut se délecter de toute la richesse qui se développe sous les doigts experts. Bruno Rigutto évite tous les effets extérieurs qui peuvent polluer ces pages. Il les tient dans une main de fer mais sait les rendre souples avec un velours de sonorité d’une profondeur rare. Le chant se déploie avec élégance et émotion contenue, comme à fleur de doigts. Chaque nocturne est magnifié et apporte sa particularité à cet ensemble considérable.
En somme le cap gardé est celui du respect et du bel canto. Deux des racines de Bruno Rigutto aux origines italiennes en ce qui concerne le rapport au chant et qui a été le seul élève de Samson François en ce qui concerne la hauteur de vue et le respect de la musique. Je rajouterai une manière de rendre limpide la richesse de la partition en tant que compositeur lui-même.
Le public a été très heureux et l’a manifesté par des applaudissements nourris ; avec gourmandise Bruno Rigutto a offert une délicieuse valse de Schubert et une mélodie Napolitaine de sa composition, joyeuse et dansante à souhait mettant bien en valeur le piano, pour un grand moment de joie partagée.
Ces éléments permettent de comprendre pourquoi ce concert a été marqué du sceau de l’exceptionnel. La magie espérée a été présente. J’ai participé à un grand moment de partage de confiance et de foi en la beauté du monde, en ces temps si incertains qui limitent les plaisirs du partage mais ne les annihilent pas, c’est vital, absolument vital !!!!
Merci au Festival, merci à Chopin et merci à Bruno Rigutto.