Ce 13 août, la Cave Poésie est un havre de fraicheur et de convivialité tandis que l’orage rode au dehors en grondant et en déversant des torrents d’eau sur la ville poisseuse de mauvaise chaleur. L’esprit du lieu, celui de son fondateur René Gouzenne, plane toujours sous les voutes de la cheminée aux briques roses et les poutres nimbées d’or par les projecteurs; les lumignons des bougies tamisent encore plus l’ambiance et préparent l’entrée très attendue des musiciens qui ont bravé l’exode estival pour venir vous faire découvrir leurs nouvelles compositions dans cette formule originale.
« Le silence pendant qu’ils s’installent fait partie de la mise en scène » nous dit en préambule la maitresse de cérémonie avec un humour dont ne se départiront pas les musiciens.
Bouledogue, dont le nom a été trouvé par le batteur par allusion à cette brave bête dont le museau aplati peu sympathique repousse souvent les caresses alors qu’elle est pleine de tendresses, est né en octobre 2015 avec Jazz sur son 31, composé de Didier Dulieux, accordina, Laurent Guitton : tuba, et Eric Boccalini : batterie.
Car si leur musique peut surprendre et dérouter au premier abord, dès les premières notes on est entrainé.
Et « chaque instrument a sa propre voix » comme disait mon cher ami Francis Bébey.
Le tuba rythmique et les percussions aériennes ponctuent la mélodie lancinante et envoutante aux accents orientaux de l’accordina: le rêve est commencé avec un morceau de l’immense pianiste Dollar Brand-Abdullah Ibrahim, Africa Ishmaël.
Ensuite, Le Chant des Baleines, sur les vagues aquatiques des balais, et accompagné par les baleines bleues surgies du tuba, le petit sous-marin jaune de l’accordina nous fait naviguer au fond d’une mer onirique : pas étonnant que le nom du groupe rappelle une chanson des Beatles, Hey Bulledog, sur Yellow Submarine, bande originale du délicieux film d’animation des Fab Fours. C’est une valse revisitée, souvenir des « bals sans frontières » de Didier Dulieux et Eric Boccalini, où les trois musiciens passent allègrement de la rythmique au solo.
The Happy Cheik, composition arabisante Rabih Abou Khalil, me fait penser de façon incongrue au Cheik Yerbouti de Frank Zappa, aux courses de dromadaires dans le désert, à Lawrence d’Arabie ; mais c’est la magie du rêve.
Occibop de Laurent Guitton, tout en ruptures acrobatiques en l’air, m’emmène dans un voyage en montgolfière au gré des souffles des vents au-dessus de notre si belle Occitanie millénaire, du grand Canal royal des Deux Mers, avec une envolée dans un tourbillon rythmique, sans doute un appel d’air chaud de la montagne noire.
Le Girou, morceau joué avec les mains par Boccalini, tire son nom de ce petit cours d’eau qui parcourt les départements du Tarn et de la Haute Garonne avant de se jeter dans la Garonne en passant à Labastide St Sernin. Ce soir, il a des airs de fleuve tranquille où pullulent grenouilles et ragondins à l’abri de hautes voutes boisées : j’y vois passer quelques hérons garde-bœufs blanc immaculés et martin-pêcheurs aux ailes bleues et ventre roux de mon enfance, échappés à la voracité destructrice des chasseurs.
Borscht souvenir du Didier Labbé Quartet, avec un solo martial de batterie, n’est pas du tout une soupe froide, mais au contraire un breuvage qui m’entraine dans les montagnes lituaniennes, au fond du château d’un comte magyar assoiffé de chair fraiche, tandis qu’un trio de musiciens jouent pour une tablée de vampires. Dieu ou le Diable sait pourquoi, il me fait penser au Bal des Vampires de Roman Polanski. Et je vois ressurgir devant mes yeux une aquarelle entr’aperçue dans un ouvrage musela et dont j’ai oublié l’auteur:
Cette ambiance un peu ténébreuse perdure de Roumanian en Yaks, des compositions de Laurent Guitton.
Lointain de Didier me ramène dans mon cher Midi des Troubadours sur les traces des musiciens de grands chemins qui jouent pour les petites gens loin des châteaux comme le petit joueur de flûtau de Brassens :
…Le petit joueur de flûteau
Fit la révérence au château
Sans armoiries, sans parchemin
Sans gloire, il se mit en chemin
Vers son clocher, sa chaumine
Ses parents et sa promise
Nul de dise dans le pays
« Le joueur de flûte a trahi »
Et Dieu reconnaisse pour sien
Le brave petit musicien.
Cabriole, « un petit rock and roll » allègre et guilleret où ils semblent bien s’amuser à jongler avec les notes et les coups d’œil complices, s’enchaine avec Badrha qui a été composé par Laurent et Eric « pour permettre à Didier de faire une petite sieste pendant les répétitions », compte tenu de sa convalescence suite à un accident cardio-vasculaire dans sa fleur de l’âge: c’est le moment d’émotion de ce concert, quelque chose comme un raga indien pour un ami au sommeil agité.
Zadar est un hommage à Didier Labbé, -dont Dulieux et Guitton ont fait longtemps partie du quartet-, souvenir de moments festifs tandis que les musiciens faisaient danser les derniers spectateurs au coin du bar, après leurs concerts dans les Pays de l’Est, où je retrouve l’ambiance des films d’Emir Kusturica : je pense à Milkyway où un vieux paysan, le voyant désespéré, lui dit: « si vous mourrez, qui se souviendra de cette femme ? ».
En rappel, Kazak, « tube joué tous azimuts » du grand Jean-Luc Amestoy, qui est devenu New Age, voit un Eric échevelé comme ses balais, un Laurent qui joue du tuba comme on joue de la flûte et un Didier qui survole son accordina d’une main arachnéenne.
Lointain en 2e rappel, toujours aussi onirique, clôt magnifiquement ce concert de deux heures qui sont passées comme un songe, avec des images photographiques et cinématographiques, sur les ailes du Tramway Bleu du Rêve.
Leur complicité fait chaud au cœur, et leur symbiose avec leurs instruments me rappelle ce vieil accordéoniste italien d’un roman d’Andrea Camilleri à qui l’on a volé son instrument, à qui des admirateurs ont offert un instrument neuf, mais dont il n’arrivait pas tirer ce qui rendait que sa musique unique, et qui expliquait : « j’ai beau remuer mes doigts sur le clavier, j’ai l’impression d’être aveugle, je ne trouve plus mes notes ; quand je l’enlace comme une femme, je la sens qui se refuse, alors qu’avec l’autre j’étais en harmonie et je lui faisais l’amour tout le temps ».
Didier Dulieux, Laurent Guitton, Eric Boccalini sont toujours en harmonie avec leurs instruments et ne cessent de leur faire l’amour.
Cela se voit et s’entend.
Pour notre plus grand bonheur.
PS. Merci à Jean-François Le Glaunec pour ses photos à titre gracieux.
Mardi 18 > samedi 22 août / 21 h / 6 > 13 €
Muriel Erdödy & Alexis Kowalczewski Erdöwsky Poésie rock & chanson nomade
Muriel Erdödy est chanteuse, autrice et compositrice. Ses origines sont occitano-hongroises.
Sa voix vous surprendra par le souffle et la poésie qu’elle exprime.
Elle revient à la Cave Po’ avec Alexis Kowalczewski, clarinettiste atypique, chercheur de sons, batteur ethnique, acrobate sauvage des notes.
À eux deux ils forment le duo Erdöwsky.
Ces aventurier·es de mots et d’accords suspendus viennent d’horizons parallèles. Leurs énergies se mélangent pour donner corps à une épopée actuelle inspirée tant par la poésie que par une musique qui gronde et se fond dans le blues de l’acier universel.
Muriel Erdödy : voix, guitares, flûte indonésienne & sagattes / Alexis Kowalczewski : clarinette, batterie & arrangements