COMPTE-RENDU, Concert. PARIS, THEATRE DES CHAMPS ELYSEES, le 5 fév. 2020. SCHUBERT. LALOUM.
Adam Laloum est un immense schubertien Adam Laloum, longue silhouette fragile avec son allure de statue de Giacometti, se glisse vers le piano sur la large scène du Théâtre des Champs Elysées dans une lumière tamisée avec derrière lui l’or chaud du rideau de scène. Il ne faut pas se fier à la vue car la puissance du pianiste n’est pas un vain mot quand on pense au programme titanesque qui attend le jeune musicien trentenaire. En effet les trois dernières sonates de Schubert dans un programme de plus de deux heures mettent à nue l’interprète.
D’autres pianistes s’y sont risqués, techniquement impeccables mais malhabiles à tenir sur toute cette longueur la richesse des images de Schubert, son besoin d’émotions perpétuellement changeantes et une capacité à tenir en haleine le public sur un temps si long. Adam Laloum ce soir a gravi plusieurs marches, non seulement celle de la qualité pianistique d’un jeu résistant mais surtout celle d’un interprète d’une poésie rare et d’une profondeur insondable. La sonate D. 958 je l’avais déjà entendue sous ses doigts à La Roque d’Anthéron en 2017. L’évolution de son interprétation dans ce vaste cycle va vers davantage de contrastes et des nuances plus subtiles encore. Les grands emportements sont maitrisés et la fantasmagorie par moment inquiétante n’est pas tragique, l’humour pointe son nez dans le scherzo et surtout dans le final qui malgré sa longueur passe trop vite dans un étourdissement délicieux. Ainsi la sonate en do mineur ouvre déjà un pan entier de romantisme passant de la violence à la tendresse la plus émue. Mais c’est dans la D.959 que le musicien avance encore vers davantage d’émotions. Cette extraordinaire capacité à habiter les silences émeut, il ose varier des tempi mouvants comme la vie.
À Piano aux Jacobins cette année il avait déjà joué cette sonate avec des qualités rares, l’évolution est pourtant là et il se rapproche encore davantage de Schubert. Un Schubert qui, à deux mois de sa mort ose une partition de près d’une heure, y dit tout son amour de la vie comme ses angoisses face à la mort. Mais d’une manière que seule Mozart savait, avec une élégance et une politesse d’âme d’enfant. La légèreté des doigts de la main droite d’Adam Laloum évoque des papillons pour la grâce et un colibri pour la précision. Les contrastes sont saisissants et les phrasés amples et plein de profondeur. Le voyage musical est amical, généreux et enthousiasmant. Le deuxième mouvement si extraordinaire devient une ode à la joie de vivre consciente de sa fragilité et menacée par la sauvagerie du moment central. La reprise en est encore plus émouvante dans des nuances toujours plus subtiles. J’avais évoqué le chant pianissimo ineffable de la regrettée Montserrat Caballé avec son extraordinaire plénitude de timbre et c’est à nouveau ce qui m’a ravi. Un chant éploré mais toujours élégant dans une concentration de timbre rare. Par rapport au Cloître des Jacobins il ose dans l’acoustique plus vaste du Théâtre des Champs Elysées des nuances piano encore plus ténues, provoquant chez le public une écoute totale, un silence rare et probablement beaucoup de souffles retenus. L’avancée à travers les paysages de Schubert semble d’une ouverture constante vers des horizons nouveaux et une variété d’états d’âme infinis. On retrouve les qualités des plus grands interprètes de Schubert de tous les temps. La troisième sonate, la D.960 encore plus longue, demande un renouvellement du propos qu’Adam Laloum organise avec une grande intelligence. Le voyage ouvre d’autres espaces, les couleurs sont plus riches et l’harmonie va vers des contrées du futur. La puissance du jeu d’Adam Laloum est de tenir ainsi la public en haleine, de lui révéler Schubert avec un sentiment de proximité rarissime.
La puissance pianistique n’étant qu’un moyen pas un but. Cette émotion au bord des larmes, cet amour de la vie et cette remémoration consciente du temps de l’enfance si caractéristique des grands poètes sont de la pure magie. Le pari fou de jouer ainsi les trois dernières sonates de Schubert est gagné haut la main par Adam Laloum, Primus inter pares au firmament des interprètes de Schubert. Un Grand concert dans un cadre prestigieux a révélé de manière incontestable la maturité artistique d’Adam Laloum. Son dernier CD est dédié à Schubert. Il est de toute beauté avec la D.894 et la D. 958. Toutes ses qualités sont là mais l’émotion du concert, cette capacité à capter l’attention du public, rajoute à la beauté de l’interprétation. Espérons qu’il enregistrera les deux dernières sonates de Schubert avec son nouveau Label car vraiment il s’agit d’un immense interprète de Schubert que le monde entier doit saluer.
Hubert Stoecklin pour Classiquenews.com
Compte-rendu concert. Paris Théâtre des Champs Elysées, le 5 février 2020. Frantz Schubert (1797-1828) : Sonates pour piano n° 21 en ut mineur D.958, n° 22 en la majeur D.959, n° 23 en si bémol majeur D. 960 ; Adam Laloum, piano.