À Toulouse, nouvelle reprise au Théâtre du Pavé des « Règles du savoir-vivre dans la société moderne », monologue incisif de Jean-Luc Lagarce interprété avec légèreté par une Corinne Mariotto exquise.
Tout le monde sait que le rose est la couleur dont il convient de parer les petites filles, comme le bleu est celle des garçons. Mais peu de gens connaissent les détails du protocole en matière de placement des invités lors d’un repas de baptême. Affublée d’une ridicule robe blanche,Corinne Mariotto sautille en agitant vainement les bras. Avec l’air inspiré d’une Nadine de Rothschild qui aurait oublié de changer de millénaire, elle débite gaiement un interminable déroulé de recommandations à suivre dans chacun des grands événements qui marquent la vie d’un couple hétérosexuel et bourgeois.
Tout cela pourrait être rébarbatif si « les Règles du savoir-vivre dans la société moderne », pièce de Jean-Luc Lagarce pour une comédienne, n’était truffée de réflexions cinglantes relevant le ridicule de certaines situations : «Si on a bien voulu s’exercer chez soi, s’agenouiller à deux en se tenant main droite dans main droite n’est pas si difficile. On ne se marie qu’une fois et tout n’est jamais que question de volonté». Quant aux apartés macabres, ils pullulent et finissent par contaminer ces solennités désuètes. Ainsi, à propos des noces d’or : «On prend garde à ne pas transformer ce jour de fête en jour de deuil» !
Mort des suites du sida, Jean-Luc Lagarce était dramaturge, metteur en scène, et accessoirement homosexuel. À une époque où les gays et les lesbiennes souhaitant fonder une famille se réfugiaient dans la clandestinité, ou au mieux dans la plus grande discrétion, il a construit une œuvre prolixe traversée notamment des questions familiales. De famille, il est surtout question ici. Francis Azéma avait mis en scène ce monologue à l’occasion d’un vaste hommage toulousain rendu à l’auteur par le Théâtre du Pavé, au printemps 2005. Succès oblige, quelques 150 représentations plus tard, alors que les homos ont désormais le droit de se marier en France comme dans plusieurs pays occidentaux, on pourra réentendre ces jours-ci ce récit exhaustif et minutieux des convenances en matière de cérémonie de baptême, fiançailles, mariage et enterrement. Des bonnes manières héritées d’un autre âge qui auraient pu porter un autre titre: « les Règles de l’hypocrisie dans la société bourgeoise ».
Lagarce écrivait à propos de son texte : «Apprendre à vivre, savoir vivre, protégera toujours du naturel, et rassurera sur l’animal qui ne demande qu’à ressurgir : cette part de nous si mal élevée qui laisserait parler son cœur, s’approcher de ceux qu’ils aiment sans conscience de leur rang et leur place dans le Monde et s’éloigner des faux-semblants. Il s’agit de connaître et d’apprendre, dès l’instant déjà si mondain de sa naissance, à tenir son rang et respecter les codes qui régissent l’existence».
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
Du jeudi 6 au samedi 8 juin, 20h30, au Théâtre du Pavé, 34, rue Maran, Toulouse. Tél. 05 62 26 43 66.