Un conte oui, mais un conte qui ne se raconte aux enfants qu’à demi mot et fait serrer les dents des adultes au fur et à mesure que l’infernal voyage se poursuit dans les wagons à bestiaux ou au coeur des forêts inhospitalières.
Un poème oui, mais un poème qui donne la chair de poule, surtout lorsqu’on ne s’y est pas préparé et que l’on découvre au fil des 128 pages dévorées en deux heures que « tout est vrai » dans ce qui semblait allégorique.
Pauvre bûcheron, pauvre bûcheronne, pauvre petite marchandise ! Des personnages, vraiment ?
Tout commence dans un bois, quelque part dans un cadre-spatio temporel incertain. Très vite, avec l’humanité, la douleur émerge oui, et la douceur s’ensuit puisque c’est bien d’Amour que Jean-Claude Grumberg nous parle, pas d’autre chose !
Comment passe-t-on d’êtres vivants doués d’amour et de compassion à bourreaux intraitables animés par la fureur et rassasiés par le rejet et la négation d’autrui ?
La Mémoire – essentielle et fière – celle de ceux qui ont été des rescapés des camps de la mort et ont cherché leurs enfants partout, celle de ceux qui ne sont jamais revenus et ont laissé des orphelins sans histoire et celle de nos enfants, cette mémoire-là, celle de nos « petites marchandises », bâtie au travers de nos mots doux et de nos narrations endimanchées comme une barrière de protection.
Un conte qui nous donne envie de ne plus dire de mensonges.
Un conte oui mais un conte philosophique qui permettra de transmettre d’une manière immaculée et clairvoyante une part de l’Histoire qui aurait sans doute mérité de n’avoir aucune réalité effective.
Un conte d’orphelin né en 1939 qui dit implicitement sa peur que ne s’efface la Mémoire et lutte, avec des mots simples et élus, contre l’oubli.
Karine Sayagh-Satragno
photo : © Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons / @Ctruongngoc
La plus précieuse des marchandises, Jean-Claude Grumberg (Seuil) - Parution le 10 janvier 2019 - 128 pages Desssin de George Horan titré "Dans les wagons, encagés et verrouillés" (1945)