Un fauteuil, un châle, un lampadaire à abat-jour rouge, seuls objets du paysage mental de Paul. De la ville ni de la morte, on ne voit le tableau. Les images répétées de ce fauteuil, de ce châle, de ce lampadaire à abat-jour rouge sont celles d’une pellicule d’un film désynchronisé, qui laisse chaque personnage isolé sur le fond vert du travail inachevé : ce travail de deuil que Paul ne peut faire, prisonnier d’une solitude peuplée de fantômes. Marietta elle-même est-elle réelle ? Ou bien est-ce une hallucination qui transforme l’abat-jour en robe rouge ? Philipp Himmelmann entretient l’ambiguïté. Paul agit dans le vide de l’absence, dans ce film qu’il se fait et où personne n’est là. Énorme travail de mise en scène qui amène les chanteurs-acteurs à jouer face à rien, laissant au spectateur le soin d’assembler les images.
Tout autre est le tableau du réveil des nonnes de Robert le diable, où une Marietta bien réelle conduit un bal de zombies rock and roll arborant paillettes et cicatrices sanguinolentes parmi d’inévitables gisants nus.
Sous la direction de Leo Hussain, l’orchestre est somptueux, exhibant trompettes et carillon en loges de cour, autres personnages d’une ville et d’une procession hors vue ; laquelle procession est magnifiquement suggérée par la maîtrise et le chœur en coulisses, que seul Paul semble voir.
Parmi les seconds rôles, tous admirablement tenus, on remarque la Brigitta solide de Katharine Goeldner, le Frank bienveillant de Matthias Winckhler et le Fritz chatoyant de Thomas Dolié, méconnaissable en mort clownesque. Les deux jeunes barytons avaient déjà séduit la veille dans leurs interprétations habitées de lieder et mélodies du temps de Korngold.
Et on ne peut que saluer les performances de Evgenia Muraveva et de Torsten Kerl. La première, Marietta de corps et de chair, est d’une aisance époustouflante. Le second, Paul perdu dans ses fantasmes, même s’il semble écrasé par le volume orchestral au début de l’œuvre, fait preuve d’une endurance sans faille dans cette impossible partition. Son ultime monologue, dont on ne sait, au fond, s’il referme la porte du passé, tire des larmes.
Capitole, 25 novembre 2018
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.