Compte rendu concert. Blagnac. Odyssud Grande salle, le 13 novembre 2018. Weil. Mozart Les Passions. Les Eléments. Suhubiette.
Triste humanité en son aveuglement durable.
Il est toujours intéressant d’aller écouter le Requiem de Mozart, tant cette œuvre est à part. La beauté intrinsèque de la partition, comme son incomplétude et sa synthèse de toute la musique occidentale, entre hommage et inventions géniales, ne lassent pas un public toujours renouvelé. L’autre intérêt réside dans le choix artistique d’accompagnement de ce chef d’œuvre. Sachant le succès attendu ce concert a été donné deux fois dans la grande salle d’ Odyssud et inclus dans la programmation entourant les cérémonies du centenaire de la si triste armistice de « la Grande Guerre ».
Aussi le choix du Berliner Requiem de Weill était très juste. Le contraste entre la partition de Weill et celle de Mozart est immense. Kurt Weill en véritable apôtre de la paix et comprenant toute la soumission à la pulsion de mort que représente la guerre, a écrit une partition visionnaire dont le message semble toujours aussi opaque aux hommes. Les textes de Brecht sont d’une intelligence et d’une puissance quasi insoutenables. Ils sont : ode à la nuit qui seule permet d’oublier les abominations dont les humains sont capables qui savent si bien tout détruire en se donnant de bonnes raisons, l’évocation du viol et de la destruction du corps, et peut être de l’âme et de la pureté des idéaux, en la personne de Rosa de Luxembourg, comme de la défiguration du soldat inconnu, et le triomphe ignoble des survivants. Tout cela est terrible. Ce miroir sans pitié tendu à l’Homme n’a pas été efficace et ne semble pas l’être d’avantage aujourd’hui. Onze ans après ce Requiem commandé pour commémorer les dix ans de l’armistice, l’Europe remettait en marche sa soumission totale à la Mort. Et en dépassant de beaucoup le nombre de morts de «La Grande Guerre» faisant figure d’enfançon avec ses 18 millions de mort, alors que la deuxième guerre mondiale atteint les 70 millions ! Ce concert aurait pu être nommé : Guerre et paix mais finalement je préfère triste humanité…
La première partie du concert comprenait donc cet éblouissant Berliner Requiem de Weill en sa noirceur et sa méchanceté rares. Car la lumière noire qu’il recèle est terrifiante. Le chœur uniquement masculin doit être invincible de puissance et l’orchestre très particulier féroce et implacable. J’ai déjà dit l’audace des mots de Brecht. Les interprètes de ce soir, dirigés par Joël Suhubiette ont semblé trop sages et appliqués. Certes le texte a été parfaitement déclamé et compréhensible, avec une traduction simultanée efficace, mais sans vie et sans méchanceté. L’orchestre des Passion a su trouver les couleurs exactes au delà de leur répertoire habituel. Le Chœur de Chambre Les Eléments qui sait tout chanter n’a pas osé aller vers l’émotion voir l’ expressionisme possibles, ni la recherche de couleurs noires et trouver l’outre-noir. Dommage car les possibilités étaient là, encore que le chœur ne semble pas comporter de vraies basses abyssales.
En deuxième partie de concert le chœur mixte et les instrumentistes baroques des Passions sont rentrés sur scène. L’orchestre avec deux chalumeaux et cordes baroques a trouvé des couleurs particulières et très belles. Il a tout du long été exemplaire de présence. Les quatre solistes ont été excellents et le fait de les voir regagner le chœur rajoutait un sentiment de fraternité bien venu. L’alto, Corinne Bahuaud, dans la partie soliste pourtant la plus modeste a été remarquable de présence vocale et de lisibilité du texte.
Le Chœur de Chambre Les Eléments en petit nombre a été parfait de précision et de tenue. Mais la direction organique et précise de Joël Suhubiette n’a rien cherché qu’à respecter la partition, avec des tempi sages, des nuances justes esquissées et des phrasés naturels sans véritables élans. Ce sont les fugues qui ont été les moments les plus réussis, mais sans théâtre et sans drame ce Requiem ne développe pas toutes les émotions qu’il contient, ne serait ce que dans l’Introït ou le Lacrymosa par exemple.
Le contraste attendu entre les deux œuvres a donc été évité. Dommage car avec plus d’engagement et d‘audace ce programme aurait pu faire trembler et pleurer le public, alors qu’il a poliment applaudi un concert très (trop ?) sage. Finalement ce concert est au diapason des commémorations plutôt fades du sinistre armistice de 1918 dont le message, dans un déni très inquiétant, n’est toujours pas vraiment compris.
Compte rendu concert. Blagnac. Odyssud Grande salle, le 13 novembre 2018. Kurt Weil (1900-1950) : Berliner Requiem (1928) ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Requiem, K.626 ; Julia Wischniewski, soprano ; Corinne Bahuaud, alto ; Nicholas Scott, ténor ; Geoffroy Buffière, basse ; Les Passions-Orchestre Baroque de Montauban (Direction Jean-Marc Andrieu) ; Chœur de Chambre Les Eléments ; Joël Suhubiette, direction.
Kurt Weill – Bertolt Brecht / Wikipedia