Compte-rendu, concert. 4 ieme Festival de Musique de Chambre des Pages Musicales de Lagrasse, le 2 septembre 2018. Adam Laloum : piano et direction artistique.
A Lagrasse toujours plus de passion musicale.
La particularité de ce festival en terme de programmation est une association très originale entre le répertoire d’orgue et le répertoire chambriste. Cette singularité vient de l’amour des organisateurs pour cet orgue Puget, honneur du travail merveilleux de la dynastie des facteurs d’orgue toulousain au XIX ieme siècle. Bien que de taille modeste cet instrument sonne extraordinairement clair et puissant dans l’église Saint-Michel de Lagrasse. Pour sa dernière intervention sur cet instrument qu’il apprécie beaucoup, Nathan J. Laube a offert au public un chef d’œuvre renversant de puissance et de brillance. Cette Fantaisie et fugue de Bach adaptée par Reger est pleine d’une intelligence diabolique avec une superposition jusqu’à 5 voix. Le jeune organiste américain sans aucun moment de relâchement, dans un tempo tenu et qui avance constamment a rendu à chaque note toute sa lumière. Quand on sait la difficulté technique et la complexité harmonique que cette œuvre recèle il est possible de mesurer la virtuosité et la musicalité de Nathan J. Laube. Il nous a offert un Bach en majesté dans un son plein de vie presque aveuglant de lumière. Le jeu de Nathan J. Laube est absolument exceptionnel et rare. Faire suite à un univers sonore si envahissant n’est pas chose aisée et c’est, je l’ai déjà dit, la difficulté demandée aux oreilles des auditeurs. Mais le charme de Raphaël Sévère est si fort son jeu si envoutant que très rapidement le public admire la fine musicalité de son jeu si assorti à celui de Jonas Vitaud.
Cette sonate de ce délicat musicien du XVIII ième siècle nous offre une sonate, initialement écrite pour flûte, très aboutie pour la clarinette. Un peu comme si le temps avait été donné à Mozart pour écrire encore un autre chef d’œuvre pour son instrument de prédilection en sa fin de vie. L’andante en particulier est un moment de grâce suspendue. Raphaël Sévère yeux fermés, Jonas Vitaud oreilles toutes ouvertes et doigts de fée, nous offrent un moment inoubliable. Ensuite la même délicate poésie va habiter les deux interprètes de la version pour violoncelle de la Fantasiestucke de Schumann. Jonas Vitaud et Adrien Bellom sont comme transfigurés par la beauté de la partition de Schumann. Par cœur, le regard perdu dans l’au delà de la musique de Schumann le jeune violoncelliste a un son d’un soyeux de rêve. Jonas Vitaud colore en aquarelliste son piano. La fantaisie au sens poétique est au pouvoir et guide le public vers un autre monde. Après ces deux duos rares et émouvants c’est au trio de la sérénade de Dohnanyi de nous ravir et nous entrainer en Hongrie, dans cette Mittel-europa qui a fait rêver tant de compositeurs et ne cesse d’enrichir l’écoute du public. En cinq mouvements d’une inventivité rare et d’une virtuosité sensationnelle tout le paysage dansant depuis la musique populaire tzigane jusqu’au plus subtil hommage à Haydn, le musicien savant et poudré. Tout ce qui vit, danse et chante se retrouve sous les doigts enflammés de nos trois musiciens.
Charlotte Juillard est flamme vive, Léa Hennino fleuve brumeux comme le Rhin et Yan Levionnois a des sonorités boisées et un sens du rythme impayable, tous trois créent un monde fascinant. Le public charmé par ces trois oeuvres rares fait une ovation à chaque groupe de musiciens conscient des moments précieux vécus. Après le sympathique entracte sous la halle centrale nous retrouvons le directeur artistique du festival, Adam Laloum. Sa direction est justement nommée artistique car chaque programme est équilibré et permet de retrouver de soir en soir les artistes aimés dans une progression particulièrement intéressante. Les amis d’adolescence musicale, Charlotte et Adam, qui ont donné leur premier concert ensemble à Toulouse avec cette sonate se retrouvent pour la sensationnelle sonate de Franck ici pour violon et piano (il existe une version pour violoncelle). Les moyens techniques requis sont fabuleux pour les deux instrumentistes mais les pianistes disent tous combien certains moments sont quasiment injouables. Il ne m’est pas possible de détailler une interprétation qui mériterait un enregistrement d’urgence tant elle est passionnante.
Certes l’amitié entre Adam Laloum et Charlotte Juillard explique beaucoup de choses, mais également les souvenirs du temps où leurs rêves les plus fous les portaient, le moment venu d’éprouver à nouveau avec des moyens techniques et musicaux différents l’ivresse de cette sonate. Pouvaient ils imaginer atteindre en 15 ans cette perfection ? Car l’interprétation porte la marque de la perfection au sens ou Franck ne peut être mieux interprété avec cette passion, ces moments de fougues, de retenues mais toujours avec la plus grande élégance. Cette partition sonne si française mais avec des moments très romantiques. Grand succès du public qui ovationne Laloum et Juillard heureux de leur interprétation. Il reste la dernière œuvre du programme. Cette vaste fresque de Chausson du poème de l’amour et la mer. La réduction très habilement réalisée permet et une dimension symphonique et une qualité d’émotion chambriste. Chacun est très habité par la beauté de la partition et donne à la cantatrice tout le matériel nécessaire à son envol vocal. La voix de Marie-Laure Garnier a pris en un an (nous l’avions découverte ici l’an dernier) une ampleur phénoménale. Son engagement ce printemps dans la Walkyrie à Toulouse in extremis avait été très remarqué.
La large voix développe de beaux phrasés et nuance délicatement. Le texte est habité et chanté avec beaucoup d’émotion. Son « l ‘oubli » donne le frisson. Je crois que les cinq instrumentistes (que nous savons tous être de fabuleux solistes) ont su avec leur engagement total, offrir le soutien exact dont la vaste voix avait besoin. Le public exulte après cette apothéose émotionnelle savamment construite. Quel festival ! Pas de doutes Adam Laloum est également un grand directeur artistique.
Hubert Stoecklin pour classiquenews.com
Compte-rendu, concert. 4 ieme Festival de Musique de Chambre des Pages Musicales de Lagrasse. Eglise Saint Michel de Lagrasse, le 2 septembre 2018. Johann Sébastian Bach (1685-1750) : Fantaisie chromatique et fugue en ré mineur BWV 903 ; Nathan J. Laube : orgue ; François Devienne (1759-1803) : Sonate N°1 en Ut majeur ; Raphaël Sévère : clarinette ; Jonas Vitaud : piano ; Robert Schumann (1810-1856) : Fantasiestucke Op.73 ; Adrien Bellom : violoncelle ; Jonas Vitaud : piano ; Ernő Dohnanyi (1877-1960) : Sérénade pour violon, alto et violoncelle ; Charlotte Juillard : violon ; Léa Hennino : alto ; Yan Levionnois : violoncelle ; César Franck (1822-1890) : Sonate pour violon et piano en la majeur FWV8 ; Charlotte Juillard : violon ; Adam Laloum : piano ; Ernest Chausson (1855-1899) : Poème de l’Amour et de la Mer ; Marie-Laure Garnier : soprano ; Mi-Sa Yang et Charlotte Juillard : violons ; Léa Hennino : alto ; Adrien Bellom : violoncelle ; Tristan Raës : piano