Compte rendu concert. 26 ième Festival de Musique de Chambre de Salon. Salon de Provence. Château de l’Empéri, le 4 Aout 2018. Brahms. Schubert. Schumann. Teuscher. Berner. Meyer. Lomeiko. Bohorquez. Laloum. Le Sage.
La musique romantique au sommet de l’émotion.
En donnant pour titre à ce concert : Chansons d’amour il y avait risque de redondances voir de lassitude mais la sagacité de la direction artistique a su offrir un programme à la diversité enthousiasmante et dans une progression dramatique envoutante.
Le deuxième trio de Brahms a été interprété tout en souplesse et en retenue. Nous avions entendu une version absolument passionnée du premier trio il y a quelques jours avec le même duo violon violoncelle (Natalia Lomeiko et Claudio Bohorquez). Le pianiste était alors Geoffroy Couteau au diapason de leur enthousiasme. Cf. notre chronique. Avec Eric Le Sage tout est très différent et la sagesse dirige l’interprétation comme si Brahms avait totalement maitrisé ses émotions en 1880 soit 27 années après l’opus de ses 20 ans. Le trio n°2 a été joué avec une admirable fluidité et une grande précision. Le charme des cordes en un dialogue savoureux pouvait compter sur le piano précis et exact de Le Sage. Pour notre part il manquait la flamme du romantisme que nous connaissons à Natalia Lomeiko et Claudio Bohorquez.
Le Pâtre sur le rocher est un des tous derniers Lieder de Schubert et pourtant tout à l’opposé du Voyage d’Hiver. Tout est lumière avec un petit passage central plus langoureux que triste. La Clarinette sert d‘écho à la voix mais en manière d’écho d’âme plus que de son. Lorsque la musicalité est à ce point appariée entre la soprano et le clarinettiste il se passe un accord quasi métaphysique qui est absolument bouleversant. Le soleil baissant, avec un petit air rafraichissant après une journée caniculaire, le dialogue du Pâtre avec ses émotions en pleine montagne et en totale solitude a pris une vérité incroyable ce soir. Lydia Teuscher est une cantatrice aussi belle à regarder que délicieuse à écouter. Sa voix de soprano est claire et pure sans aucune dureté jamais. La ligne de chant peut devenir extatique, les vocalises ont précises et souples avec une grande facilité. Ce qui est très rare dans cette tessiture, c’est qu’il est possible de comprendre les textes qu’elle dit avec une intelligence communicative. Nous avions pu le constater lors d’une trop courte intervention dans un concert du 2 Aout dans cette cours puis le lendemain dans un beau récital à l’Abbaye de Saint Croix en après midi, dans une chaleur caniculaire. Le programme était connu par cœur et dit et joué avec infiniment de sensibilité. Au piano Geoffroy Couteau a été un partenaire de grande qualité d’écoute et très réactif. Son jeu a été très inspiré en dépit du piano Blüther de 1856 un peu rétif. Schumann, Brahms Mendelssohn et Strauss ont été caractérisés avec beaucoup de délicatesse par les deux artistes. Pour ma part j’ai été particulièrement charmé par les interprétations des Lieder de Richard Strauss dans lesquels la vivacité est mise en valeur ainsi que la facilité et la lumière de ses aigus de Lydia Teuscher et le jeu de Geoffroy Couteau a été plus libre et extraverti en demandant un peu plus à l’auguste piano.
Ce soir dans le Pâtre sur le Rocher la lumière de la voix de Lydia Teuscher rayonne puis s’assombri. La clarinette de Paul Meyer est d’une subtilité et d’une émotion indescriptible. Le son nait du silence imperceptiblement et peut mourir de même. Cette délicatesse pour commencer et finir les phrases crée une émotion musicale sublime et l’accord ensuite avec la soprano en terme de phrasé et de nuances s’approche de l’idéal. Lydia Teuscher et Paul Meyer ont bien été une seule âme ce soir. Tout n’a été que beauté, intelligence et délicatesse dans le vent du soir. Eric Lesage a accompagné les deux musiciens hyper sensibles avec un style assez mozartien fait de finesse et de tenue. Un grand moment de grâce a été offert ainsi au public qui a applaudi avec effusion.
En deuxième partie de programme le pianiste Adam Laloum a pris place au piano. Ce musicien accompli d’origine Toulousaine a un peu plus de 30 ans et excelle en tout. Sa carrière de soliste le mène de succès en succès de part le monde. Mais il a également créée le Trio des Esprits avec lequel il joue et enregistre avec grand bonheur. Il est également directeur artistique du Festival de Page Musicales de Lagrasse dans l’Aude début septembre depuis 3 ans. Ce soir il accompagne le baryton-basse Martin Berner dans un cycle de Schuman des plus aboutis. Le Liederkreis opus 39 sur des poèmes grand Eischendorf tous emprunts de mélancolie représente une somme de trésors bien divers mais tous liés par une maitrise du ton assez rare chez Schumann. Tous ou presque ont une ambiance nocturne que ce soit la nuit temporelle, celle du cœur ou celle qui autorise le rêve éveillé. De l’aveu de Schumann ce cycle dédié à son inaccessible Clara est tout plein d’elle et des sentiments qu’elle fait naitre chez le compositeur. Adam Laloum et Martin Berner forment un vrai duo qui enrichi son expression en cours d’interprétation. Le baryton allemand connaît le cycle par cœur et sa belle voix sombre sait s’éclairer quand il le faut. La ligne de chant est superbement sculptée par le chanteur. L’accord est si complet que le piano précède ou suit la voix avec une exactitude musicale fusionnelle. Sans jamais en faire trop Adam Laloum est très présent mais laisse à la voix sa primauté du texte. Pourtant comme son jeu est expressif et dit les sentiments schumaniens avec émotion ! Ce cycle si beau a trouvé ce soir un duo d’exception.
Puis c’est avec la sensationnelle violoniste russe Natalia Lomeiko que Laloum va fusionner pour une interprétation incandescente de la troisième sonate de Brahms. Adam Laloum était venu écouter Natalia Lomeiko le premier aout et elle était venue l’écouter le deux aout. Ainsi il connaissait la sonorité lumineuse et le jeu ardant de la violoniste et elle savait comment lorsqu’il joue chaque note du pianiste semble déterminer la suite de sa vie. Ainsi l’adéquation de jeu entre les deux musiciens a été incroyable. Le duo a fonctionné dans une écoute mutuelle et des rapprochements féconds permettant des nuances et des couleurs inouïes. Le respect entre les deux musiciens a été total, aucun ne tirant la couverture à soi mais laissant l’autre briller de son mieux. Le grandiose premier mouvement a été plein de passion. La tendresse du mouvement lent, la beauté sonore dorée du violon de Natalia Lomeiko et le legato plein d’ombres du piano, sa richesse de tapis harmonique sur lequel elle s’envolait comme Sinbad ont crée une moment magique dans la nuit naissante. Le Scherzo a filé comme un songe de liberté infinie. Le final a entrainé le public dans un voyage de passions toujours renouvelées tout à fait exaltant. Natalia Lomeiko et Adam Laloum ont su créer un duo de musicalité et de passion partagé de toute magnificence. Le public a fait une véritable ovation aux artistes. Quel concert qui nous a mené au sommet de l’émotion !
Hubert Stoecklin
Compte rendu concert. 26 ième Festival de Musique de Chambre de Salon. Salon de Provence. Château de l’Empéri, le 4 Aout 2018. Johannes Brahms (1833-1897) : Trio pour piano et cordes n°2 en ut majeur op.87, Sonate pour violon et piano n°3 en ré mineur op.108 ; Frantz Schubert (1797-1828) : le Pâtre sur le rocher D.965 ; Robert Schumann (1810-1856) : Eichendorff Liederkreiss op.39 ; Lydia Teuscher, soprano ; Martin Berner, baryton-basse ; Paul Meyer, clarinette ; Natalia Lomeiko, violon ; Claudio Bohorquez, violoncelle ; Eric Le Sage et Adam Laloum, piano.