Certaines personnes condensent plusieurs vies en une, et Claude Hélias est l’une d’entre elles. Expert-comptable et commissaire aux comptes, Président honoraire de l’Ordre des Experts-Comptables mais aussi pleinement comédien, il fut le Président du Conseil de Surveillance et trésorier du Stade Toulousain avant de diriger le Grenier Théâtre à Toulouse.
Si on l’interroge, Claude Hélias est attentif à chaque question, et on ressent, avant de répondre, qu’il soupèse tous ses mots. Dans son bureau de la rue Antonin Mercié, sous le regard aiguisé d’un buste de Molière, il raconte son goût de l’effort, et comment il a su s’inventer un destin en tous points singulier.
De l’importance d’équilibrer la passion et la raison
« C’est très important pour moi d’avoir un équilibre entre la passion et la raison. Faire le lien entre l’univers des chiffres et du droit et l’univers artistique et culturel. Chez les expert-comptables, on manque souvent de fantaisie et de culture, dans le milieu artistique, de structure et de gestion. Or les artistes sont confrontés à des considérations économiques, qui les contraignent à se pencher un peu plus sur la gestion de leurs activités ou de leurs lieux. Compte tenu des restrictions budgétaires dans toutes les collectivités locales, les subventions sont entrain de se réduire de façons drastiques. Il faut trouver de l’argent d’une autre façon, ce qui impose de monter des projets non seulement artistiques, mais aussi économiques.
Je dirige la compagnie théâtrale Cœur et Jardin et le Grenier Théâtre. Ce qui m’intéresse, c’est de faire vivre un lieu. Quand j’ai repris le Grenier Théâtre, il n’avait plus d’activité. J’ai voulu investir ce lieu et pouvoir l’utiliser au maximum : pas uniquement pour faire des représentations du jeudi au dimanche soirs. Nous accueillons des compagnies amateures et professionnelles, Cœur et Jardin étant la compagnie résidente. Nous proposons des cours le matin, avec des professeurs de théâtre, ainsi que des séminaires de formation de prise de parole en public, où nous utilisons les techniques de l’acteur, abordées selon une perspective professionnelle : dans le milieu de l’entreprise, comment prendre la parole en public ? Le but, c’est de faire vivre ce lieu la journée, le soir, tous les jours, et d’y accueillir un maximum de personnes. Ce théâtre n’est pas un moyen : c’est un but en soi.
J’ai vécu la même chose au Stade Toulousain. Quand je dirigeais le Stade Toulousain, il y avait d’un côté le projet sportif et de l’autre le projet économique. Contrairement à ce que j’entends parfois, on ne peut pas gérer un club comme une entreprise. La priorité, c’est le projet sportif, comme au théâtre, le projet artistique. Mais l’un ne va pas sans l’autre : le projet économique doit suivre. On a besoin de ressources pour alimenter ces projets. On est confronté à cette réalité. Certains théâtres et activités artistiques l’ont compris : on fait maintenant appel au mécénat culturel, où l’on associe le monde de l’entreprise. Dès le départ, je l’ai associé, puisque je viens du monde de l’entreprise. Je me suis dit : « Il faut que l’entreprise aille au théâtre ».
Au Grenier Théâtre, nous organisons des soirées réservées aux entreprises, qui font venir leurs collaborateurs, leurs clients, leurs conjoints, qui en font un événement. Toutes les entreprises venues une première fois sont revenues. Ceci nous permet aussi de les sensibiliser au mécénat culturel, dans le cadre de la loi sur le mécénat, grâce au crédit d’impôt que cela procure. C’est gagnant-gagnant. On essaie d’avancer sur ces différents fronts. »
De la nécessité de sortir de sa zone de confort
« Il faut sortir de sa zone de confort. Sinon on n’avance pas, on ne découvre plus rien. Je suis comédien depuis vingt ans. J’ai suivi différents cours et une formation à Paris chez Jean-Laurent Cochet. La première fois que je suis monté sur scène, j’étais mort de trouille. Ça a été un palier à franchir pour moi. J’ai toujours aimé le théâtre et été fasciné par les comédiens sur scène. C’était me mettre en danger, mais pour pouvoir progresser et découvrir un autre univers. Pour moi, c’est fondamental.
Le théâtre me plaît aussi parce que c’est une activité qui exige énormément de rigueur, et dans tout ce que j’ai entrepris, j’ai toujours mis de la rigueur. Mon métier d’expert-comptable demande énormément de rigueur, de connaissances et de formation permanente. J’ai retrouvé ça dans le théâtre. Cette envie de connaissance, mais aussi de formation. Je continue à suivre des stages, sur des activités corporelles, la diction, sur l’étude de textes classiques. C’est une formation permanente, comme je le fais dans mon métier : je continue à me former tous les ans, à suivre des stages sur le droit, le droit comptable, la fiscalité. Il y a cette similitude de rigueur entre mon métier et le théâtre, mais aussi dans le sport. Il y a la recherche de la performance : être le meilleur possible.
Au théâtre, les gens vont payer leur place pour venir nous voir jouer, on ne peut pas être moyen, les négliger. J’ai le goût de l’effort. De pouvoir se dépasser soi-même. Je lis beaucoup, et je me rends compte qu’il y a tellement de choses à savoir. J’aime aussi l’effort de la patience. Voir les choses que l’on a plantées grandir, pouvoir s’en occuper : il y a quelque chose de contemplatif.
La culture est très importante. Elle permet d’être plus serein. Elle permet d’éviter la violence. En ayant une plus grande connaissance, du vocabulaire. L’absence de mot et de vocabulaire conduit à la violence. »
De l’inévitabilité de suivre son cœur
« Comme Albert Camus l’a dit, je ne connais qu’un seul devoir, c’est celui d’aimer. C’est ce qui donne un sens à ma vie. Pouvoir avoir des relations avec des gens que j’aime et des activités qui me plaisent. Je ne peux pas travailler avec des gens que je n’aime pas. C’est impossible.
J’ai fait mon passage au Stade Toulousain, j’ai contribué, avec mon ami Guy Novès, à faire d’un club alors amateur l’un des plus grands clubs de France et d’Europe. J’ai fait tout ce que j’avais à y faire. J’aurais pu profiter de tout cela. Mais je l’ai quitté, parce que je ne m’entendais pas du tout avec le Président, alors que c’est un club qui compte énormément pour moi, pour lequel je me suis profondément investi. J’en suis parti avec regret.
En quittant mes fonctions au Stade, je suis passé à la reconstruction d’un petit théâtre : il fallait tout rebâtir. Cela peut paraître très différent, mais j’ai fait avec le Grenier Théâtre ce que j’ai fait au Stade.
Partir d’un projet et le faire grandir. C’est comme le cabinet (BGH Experts et Conseils). C’était un tout petit cabinet au départ, aujourd’hui, nous comptons quatorze agences et cent-trente salariés. C’est un beau cabinet toulousain. »
Du besoin de garder toujours une chose à accomplir
« Il y a une chose que je n’ai pas faite dans ma vie, c’est voyager. Un peu, avec le rugby, mais pas assez. Mon fils, aussi, m’a obligé à voyager. Jusqu’à présent, je ne suis resté quasiment qu’à Toulouse : j’y suis né, j’y ai fait mes études, j’y travaille. J’aime beaucoup Paris, où je vais souvent, comme à Londres où vivent mon fils et sa femme, mais je me rends compte qu’il y a beaucoup de choses à découvrir dans le monde, et ce sera mon prochain défi : découvrir d’autres pays. Ça fait aussi parti de la connaissance, de la rencontre.
Et j’aimerais donner plus de temps au travail de l’acteur. On structure le Grenier Théâtre avec l’embauche d’un directeur artistique. En ce moment, nous avons un régisseur, une administratrice, il nous faudrait un directeur artistique pour s’occuper de la programmation et de la diffusion, ce qui me permettrait de me consacrer plus à l’activité de comédien. La gestion me prend énormément de temps : trouver les pièces, les lire, se déplacer, souvent à Paris, pour les voir jouer, faire le casting. Une directrice ou un directeur artistique m’aiderait beaucoup. Ce sera une prochaine étape, pour pouvoir me consacrer plus au jeu. C’est très exigeant, très chronophage d’apprendre un texte, de répéter, de jouer, d’autant plus que nous jouons beaucoup : par saison, parfois entre soixante-dix et quatre-vingt dates.
Ne pas attendre que les choses se produisent est primordial. La notion d’indépendance est primordiale, y compris dans mon métier d’expert-comptable : être indépendant par rapport au client, sur la justesse du jugement. Quand j’analyse les bilans d’autres théâtres, et que je vois le poids des subventions dans leurs ressources, ils ne sont pas indépendants. »
Du désir de transmettre
« A travers mes choix, mes activités, j’aimerais transmettre à d’autres l’envie d’entreprendre. On ne peut pas sans cesse attendre ou réclamer. A attendre toujours quelque chose de quelqu’un, d’un employeur, de l’État, on réduit ses possibilités, on est malheureux. On se sent paralysé. En entreprenant, en sortant de sa zone de confort, on réalise que des choses se passent ailleurs, on découvre d’autres possibilités, d’autres manières de faire. On découvre qu’on est capable. Ensuite, on se sent mieux.
Aujourd’hui, on parle de la mondialisation, avec ses effets positifs et négatifs, mais tout cela a complètement changé notre société. Je le vois dans le recrutement que nous faisons dans notre cabinet : les jeunes n’ambitionnent plus de rester quarante ans au même poste. Ils sont mobiles, polyglottes, ils veulent expérimenter, découvrir d’autres choses, d’autres pays, ils vont s’enrichir de tout ça. Aujourd’hui, les gens qui restent au même poste toute leur vie, c’est exceptionnel, ça n’existe pratiquement plus. Les nouvelles générations, et tout ce qui se passe dans le monde, nous obligent à aller voir ailleurs, à tenter. On s’enrichit de ça. On est bienheureux, aussi, de voir l’endroit d’où on est parti et celui où on est arrivé : c’est une grande satisfaction.
La culture est liée à ça. Elle mène à l’ouverture d’esprit. Elle est de plus en plus réduite, sa place est de plus en plus réduite. Pourtant, c’est elle qui nous nourrit. »
Eva Kristina Mindszenti
Grenier Théâtre
14 Impasse de Gramont • 31200 Toulouse
Tel : 05 61 48 21 00
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Une nouvelle saison de succès au Grenier Théâtre
Claude Hélias © Pierre Beteille
Grenier Théâtre 1 © Lucien Valle • Grenier Théâtre 2 © JF Delibes