Compte-rendu, concert. Toulouse, le 1er décembre 2017. Mendelssohn. Mahler. Chamayou, Orchestre National du Capitole / Andris Poga.
Les Toulousains ont la chance de pouvoir compter sur une génération de jeunes pianistes de premier plan, issus du Sud Ouest. David Fray, Adam Laloum et Bertrand Chamayou sont 3 pianistes trentenaires épanouis et célèbres dans le monde entier. Bertrand Chamayou ce soir a excellé à nouveau dans une virtuosité transcendante. Le charme de son jeu repose sur une aisance et une apparente facilité qui envoûte. Les doigts fusent et la musique envahit l’espace. Ce Concerto de Mendelssohn exige des moyens exceptionnels dès la première entrée du piano. L’entente avec le chef, l’écoute avec les instrumentistes, sont parfaites. Tout coule, l’andante chante, et le final caracole. Du grand art, de la bien belle musique. Bertrand Chamayou et Andris Poga ont su s’accorder avec musicalité. Et l’Orchestre du Capitole a été magnifique de précision comme d’élégance.
En bis Chamayou offre deux pièces ; d’abord le sublime chant « Sur les ailes du chant », mélodie planante de Félix Mendelssohn adaptée par Frantz Liszt, puis il a terminé sur une extraordinaire Etude en forme de Valse de Camille Saint-Saëns. Aussi virtuose que les plus folles pièces de Scriabine, cette pièce sensationnelle et élégante a subjugué le public de la Halle-aux-Grains
Photo Marco Borggreve
Sa Sixième Symphonie : avec ou sans Mahler ?
En deuxième partie de concert, la Sixième symphonie de Mahler était une sacrée audace. En 2013, Tugan Sokhiev avait donné une intéressante version de cette symphonie maudite. Dans le choix de la faire précéder par un concerto, il est permis de voir la marque des progrès de l’orchestre. Notre souvenir de 2013 (qu’une rediffusion sur Mezzo et Mezzo live en décembre nous permettra de raviver) en est resté assez fort pour dire combien l’orchestre a gagné en maturité. Une endurance développée mais aussi des sonorités sublimées et une puissance encore décuplée. Les cors ont été royaux avec un Jacques Deleplanque très inspiré à leur tête. Les cuivres ont été d’une puissance éblouissante sans enflure saturée. Les bois, d’une émotion et d’une élégance incroyable avec le hautbois royal de Louis Seguin. Et François Laurent particulièrement en forme à la première flûte.
Les cordes ont gagné en présence surtout les violons quand aux contrebasses, leur entrée a été d’un effet sidérant. Une mention particulière pour les percussionnistes à la fête dans cette symphonie et pas seulement le terrible marteau. Un orchestre donc en forme subliminale. Mais les temps changent et quand on pense que cette symphonie n’est que depuis très peu de temps régulièrement donnée, il est presque incroyable de voir comment ce soir, le public l’a applaudie comme une symphonie impressionnante par sa longueur mais sans être ébranlé par la désolation qui l’habite. Car c’est là, l’étonnement qui en a saisi plus d’un. Où sont passés la sauvagerie, la dérision et le sarcasme contenus dans cette partition ? Où est la douleur de Mahler qui, sorti des épreuves et goûtant le bonheur conjugal, familial, amical et professionnel, peut livrer les douleurs de ses combats pour en arriver là : à cette conscience de la mort en sa puissance absolue ? Car dans la lutte, toutes les forces sont engagées et c’est seulement dans le bonheur qu’une vraie introspection en mesure le prix et sait que la mort nous en privera de façon certaine. Le chef letton Andris Poga est bien sympathique ; et tout sourire, il aborde avec sérieux l’organisation de la symphonie. Il déplie les plans, organise le discours. Tout à son plaisir, il dirige le superbe orchestre dont il obtient une splendeur sonore constante. Comment fait il pour diriger avec le sourire les trois premiers mouvements ? N’entend-t-il pas la douleur ? La terreur ? Ou la moquerie ? Ou même la mélancolie et les larmes de l’Andante ? Le mystère voire le surnaturel du final ?
Seul le dernier mouvement devient un peu dramatique et encore n’a-t-on eu que deux des trois coups de marteau. La tradition induite par la superstition de Mahler (et surtout celle de sa chère épouse) faisant gommer le troisième coup de marteau qui abat le héros n‘est pas toujours respectée et il est permis de regretter la puissance du troisième coup.
Cette symphonie de la douleur de vivre, si autobiographique n’a pas ce soir été véritablement mahlérienne mais juste grandiose et belle. La beauté n’est pas la qualité première de cette symphonie, pleine de dérision et d’audace, de timbres et d’effets inouïs. L’Orchestre du Capitole a merveilleusement joué. Il attend encore le chef qui lui permettra, dépassant le plaisir hédoniste, de jouer la vraie symphonie « Tragique », composée par Mahler l’écorché vif. Ce jour là le public sera vraiment ému et comprendra qui est Mahler.
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Compte rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le premier décembre 2017. Félix Mendelssohn Bartholdy (1808-1847) : Concerto pour piano et orchestre n°1 en sol mineur Op.25 ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 6 en la mineur « Tragique » ; Bertrand Chamayou : piano ; Orchestre National du Capitole ; Direction : Andris Poga.
Posté sur Classiquenews.com par Hubert Stoecklin
Le site Esprit Nomade ou la profondeur de cette symphonie est admirablement analysée.