Voilà six disques que je vous conseille vraiment si vous voulez faire voyager ceux que vous aimez pour Noël, en leur offrant des cadeaux originaux à un prix très raisonnable.
Cet été, dans la magnifique Abbaye de Saint Papoul (1) dans l’Aude, et dans le cadre du Festival Les Troubadours chantent l’Art roman (2), j’ai eu la chance d’assister au concert de Sandra Hurtado-Ròs, une magnifique chanteuse accompagnée par deux excellents musiciens, André Rochard aux oud, vièles, saz, et Thierry Gomar aux percussions, pour un répertoire intitulé Erransa, Chants d’errance en Méditerranée (chansons séfarades). C’est celui de ses deux disques sous ce titre sur le label Troba Vox (3). Le lieu, qui connut son apogée au XIIème siècle et recèle des sculptures romanes du Maître de Cabestany, incitait à la méditation, mais la chanteuse a en plus une flamme qui nous poussait vers le rythme des errances méditerranéennes : une véritable odyssée musicale. Celle que l’on retrouve sur ses disques justement.
Hija Ya Te Veo Grande – Sandra Hurtado-Rós avec André Rochard, Thierry Gomar et Abdelatef Bouzbiba (violon)
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Oda a Montségur, oratòri
Toujours sur le label Tròba Vox, Gérard Zuchetto, musicologue et musicien spécialiste des Troubadours (il enseigne à l’Université de Stanford), a rendu hommage à René Nelli, la grande référence en la matière, mais aussi poète, dans un disque étonnant : Oda a Montségur, oratòri. Sur les vers de l’historien évoquant le château où les « hérétiques » cathares trouvèrent un dernier refuge et au pied duquel ils furent brûlés, avec les musiciens du Trobadours Art Ensemble, il fait revivre l’âme occitane dans toute sa splendeur ; et avec des accents étonnamment modernes, parfois même rocks. Rien d’étonnant pourtant et il s’en explique dans son dernier ouvrage :
Retrobar lo Trobar
Education sentimentale, artistique et culturelle de l’Europe… ainsi que l’ont écrit plusieurs médiévistes. Les troubadours se mêlent de tout, ouvertement : ils critiquent les rois, aiment leurs dames, dénoncent l’Inquisition, participent aux croisades en Orient ou effectuent des pèlerinages. Leurs chansons cultivent l’art de la parole libre, elles sont au cœur de la vie sociale et la vie sociale est au cœur de leurs mots. Ces cansos parcourent l’Europe devant un public connaisseur, de grands chants forgés avec métier, paroles et musiques, sur de belles razos, de beaux thèmes. Ce sont des œuvres chantées, abordant tous les sujets avec une réflexion intense, qui répandent dans les cours des idées nouvelles et bouleversent les codes établis. De Dante Alighieri à la philosophe Simone Weil, ils sont nombreux ceux qui seront interpellés par ce Trobar des XIIème-XIIIème siècles. Et depuis longtemps, des romantiques aux slameurs d’aujourd’hui les troubadours nous interrogent encore.
(Gérard Zuchetto 9 Collection Votz de Trobar n° Poésie occitane).
Pour rester dans le registre des musiques qui sortent de l’ordinaire, Christophe Deslignes, un des rares virtuoses de l’organetto, l’orgue portatif médiéval, formé à la Schola Cantorum de Bâle, explore d’autres univers musicaux au sein du Trio Ub°k, avec Utelo aux chants et percussions, Bujee aux chant et Morin Khuur (une sorte de luth mongol). Arpenteurs des mondes : ce titre convient parfaitement à leur musique qui nous dépayse totalement à travers l’espace et le temps.
Concert UB°K pour le programme « Arpenteurs des Mondes » le 19 Novembre 2016 à l’Etang Moderne de Rochefort-en-Terre.
Du même Christophe Deslignes, Lucente Stella, son deuxième disque consacré à cet instrument méconnu qu’est l’organetto, l’orgue portatif médiéval. Voici 13 morceaux d’un répertoire revisité qui date de l’époque de Dante, Petrarca, Boccacio et Cavalcanti ou le talent de l’instrumentiste fait des merveilles. Rien de mieux pour rêver à l’Italie des Troubadours d’avant la Renaissance, dans des jardins colorés et parfumés, au bras d’une belle Dame, loin des fracas guerriers qui ne manquaient pas à cette époque comme aujourd’hui…
Embarquez pour une expérience musicale nouvelle qui puise ses racines dans les tréfonds de notre histoire européenne.
Lucente Stella Medley
Suonatori
L’Ensemble Suonatori, emmené par le talentueux et éclectique violoniste Christophe Geiller, met en évidence, sur instruments anciens, la filiation naturelle qui existe entre les musiques improvisées de la période baroque et celles de la période actuelle. Ces magnifiques instruments sont mis en évidence à tour de rôle : Violon Baroque, Alto Baroque, Violes De Gambe, Clavecin, Percussions, Oud, Colachon, Chalumeau, Psaltérion À Archets, Guitare Romantique, Guitare Baroque, Théorbe, Vihuela, Milltone, Bol Chantant, Guzheng (cithare chinoise) !
Les textes originaux sont tirés du Cancionero de Palacio (Espagne du XVIe siècle), et l’histoire racontée par Jodël Grasset-Saruwatari, est le fil conducteur du spectacle : on suit avec passion l’odyssée d’un musicien éperdu d’amour malheureux entre l’Espagne et l’Italie baroque.
Au programme, des compositions aux noms évocateurs, de compositeurs baroques bien sûr, de Gaspar Sanz à Johannes Hieronymus Kapsberger en passant par le cher Marin Marais de Tous les matins du monde : Canarios, Mantovana, Spagnoletta, Tarentella, Caponas, Aria del Gran Duca, Bergamasca, Passacalles, Sfessania, Fantasia del quarto tono, Milltonetta, Fandangos, Pavana, Ricercare, Nanna, Jacaras, et bien sûr Folias ! Arrangées par les différents musiciens de l’Ensemble qui prennent des solos à tour de rôle ; comme dans un groupe de Jazz, d’où le nom de ce récital : Baroque Jam Session.
disponible à partir du 10 décembre sur : http://www.info-groupe.com/suonatori/
Cocanha I ès ?
Elles enchainent bourrée auvergnate, branle pyrénéen, scottish, ronde, valse d’Aveyron. Tour à tour en solo, duos ou chœurs, ce sont trois voix, ancrées, timbrées, touchantes. Avec Toulouse comme point de rencontre, le trio chante haut et fort cette langue occitane du quotidien, véritable terrain de jeu vocal. Mains et pieds claquent les rythmes de la danse. Les tambourins à cordes pyrénéens installent le bourdon percussif, brut et enveloppant, apportant au chant une pulsation vitale. Forte de son ancrage, Cocanha chante une musique indigène dans la continuité de la création populaire, propose un répertoire occitan à danser, pour faire sonner la langue dans la danse, la fête et la rencontre.
On a tout de suite des fourmis dans les jambes.
Elles me font penser par moment aux girls bands de la soul ou du jazz, en particuliers aux afro-américaines (Crystals, Ronettes ou Suprêmes etc.), mais surtout à ces groupes vocaux italiens qui me donnent le frisson, dans la tradition des Mondines, autour de Giovanna Marini ou Lucilla Galeazzi, du Nuovao Canzoniere italiano à l’Arpeggiatta de Christina Pluhar, et aux piémontaises d’Ariondela, tant les harmonies vocales sont superbes, travaillées mais naturelles, à mi-chemin entre tradition et modernité.
Cocanha – La Comair mosca / Sus la nosta trilha
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Voilà de quoi faire rêver à travers des cadeaux simples et originaux.
… De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.
(Ch.Baudelaire)
E.Fabre-Maigné
20-XI-2017
Pour en savoir plus :
- abbaye-saint-papoul.fr/
- Les Troubadours chantent l’Art roman
- Troba Vox : art-troubadours.com/ Disponible dans toutes les bonnes librairies ou BP 27 56 rue de la révolution 11110 Coursan
- https://ubktrio.com