En douze films et une exposition, la Cinémathèque de Toulouse rend hommage à l’actrice Danielle Darrieux qui s’est éteinte en octobre dernier à l’âge de 100 ans.
Les cinéastes Marie-Claude Treilhou et Paul Vecchiali rendront hommage à Danielle Darrieux qui s’est éteinte en octobre 2017, à l’âge de 100 ans, à l’occasion d’une rétrospective présentée à la Cinémathèque de Toulouse. De la version française de « Château de rêve » – dirigée en 1933 par Henri-Georges Couzot – au « Jour des rois » qu’elle tourna en 1991 sous la direction de Marie-Claude Treilhou, douze films sont à l’affiche pour retracer le parcours de l’actrice qui débuta à l’écran à l’âge de quatorze ans, s’imposant aussitôt par son naturel éloigné des codes artificiels hérités du muet.
«Je travaillais le violoncelle et, comme toutes les petites filles, je voulais soigner les enfants ou aller voir les animaux malades à l’autre bout du monde. Je n’avais pas d’idée précise de mes souhaits. Le jour où l’on m’a demandé de tourner, j’ai cru que c’était une blague. Je ne me suis aperçue qu’au bout de trois semaines qu’il y avait un micro. Je ne savais pas du tout ce que je faisais. C’est pour cela que j’ai été choisie : j’étais tellement naturelle… Cela ne m’a pas gênée de dire “maman” à un charmant assistant qui me donnait la réplique dans une scène où je devais convaincre ma mère de me laisser aller au bal. Huit jours plus tard, j’ai dû faire un essai plus dramatique : j’avais toujours le même jeune homme en face de moi et ma conviction n’a pas faibli. Pourtant, en 1931, le monde du cinéma était considéré comme un lieu de perdition. Heureusement, mes parents, qui évoluaient dans le milieu de la musique de chambre, ont pris conseil auprès d’artistes qui ont su les persuader… Après ce premier film, je n’ai rien tourné pendant un an : j’étais à l’âge ingrat. J’ai fait mon deuxième film à quinze ans et cela ne s’est jamais arrêté. À partir de ce moment, j’ai compris ce qu’était le métier. Le maquillage me permettait de cacher ma timidité maladive. On ne me voyait plus rougir : j’ai ressenti comme une libération de jouer une autre que moi-même. Jouer quelqu’un d’autre, c’est le paradis. Et avoir la sensation d’être aimée, c’est extraordinaire», racontait Danielle Darrieux.(1)
Selon Paul Vecchiali, «c’est en inventant l’anti-star que Darrieux devient une star, à son corps défendant. Mais quel corps et quel visage, tellement expressifs, auxquels s’ajoute une voix délicate et juste qui sait aussi bien émouvoir que distraire !». Des trois chef-d’œuvres tournés avec Max Ophuls au début des années cinquante, on reverra à la Cinémathèque de Toulouse l’incontournable « Madame de » (photos n&b). L’actrice confessait : «J’adore ce film. C’est même le seul que je regarde avec un vrai plaisir. Je devais être terriblement amoureuse pour dégager de telles ondes. Amoureuse de Max Ophuls, de Charles Boyer, que je retrouvais dix-huit ans après « Mayerling », et de Vittorio De Sica, qui avait un charme fou. J’étais au milieu de ces trois hommes sublimes, comme dans un rêve. D’ailleurs, à l’écran, on voit bien que je suis sur un nuage… Il y a eu un miracle. C’est peut-être aussi parce que c’était mon dernier film avec Ophuls. En tout cas, « Madame de… » restera “mon” film. Celui grâce auquel on ne m’oubliera pas tout à fait… […] Ma rencontre avec Max Ophuls a tout bouleversé… Dès « la Ronde », il y a eu un coup de foudre artistique entre lui et moi. Je crois au miracle des gens qui se croisent. À cette vibration, pas forcément physique, qui peut exister entre deux personnes. Il y a des adorations qui résistent à l’usure du temps, des amis dont on ne peut plus jamais se passer. C’est curieux, mais il y avait entre nous une osmose cinématographique. Il n’avait pas besoin de parler pour que je le comprenne. Quand il est mort, je me suis demandé comment j’allais faire pour jouer. J’étais perdue.»(2)
Pour Paul Vecchiali, «avec Ophuls, elle découvre enfin cette conjonction qu’elle espérait entre le talent et l’art ; élégance et profondeur. Chez Ophuls, l’impression rejoint l’expression. Est-ce un hasard ? […] Max Ophuls lui affirmait “Tu peux tout jouer, surtout les rôles tragiques, parce que tu es toujours un peu ridicule”. Mais, dans l’un des derniers plans de « Madame de… », juste avant la mort, le visage de l’actrice se charge d’incertitudes tragiques, d’évasion, de résignation enfin, évacuant toute notion de ridicule. Danielle Darrieux entre définitivement dans la légende. Les trois Ophuls, mais encore « le Rouge et le Noir » de Claude Autant-Lara confirment sa virtuosité et rehaussent sa beauté. Si tout est à retenir dans « la Ronde, « le Plaisir » ou « Madame de… « , on se souviendra aussi de la scène des allers-retours de Madame de Rénal lorsqu’elle tente de rejoindre Julien Sorel (Gérard Philipe) dans sa chambre. Plus stendhalienne que tout le reste de l’adaptation, cette séquence rend un vibrant hommage à une actrice accomplie.»
Le cinéaste constatait en 2009, à l’occasion de la rétrospective que consacra la Cinémathèque française à l’actrice : «Film après film, elle apporte à ses personnages et aux situations qu’ils traversent une clarté instinctive, née du simple bon sens, enrichie de sensibilité frémissante ou cocasse. Si la vulgarité l’amuse parfois, elle ne supporte pas ce qui est commun. Patiente profondément, impatiente dans l’instant, elle mène sa route avec une lucidité tranquille, jamais dupe des chemins qu’elle emprunte. Les yeux pleins de rêve (sa caractéristique la plus évidente), avec le recul nécessaire, Danielle Darrieux a fasciné cinq générations de cinéastes, traversé plus de soixante-dix ans de cinéma à l’aise, ô combien, dans la comédie comme dans le drame, le burlesque ou le tragique, jouant sa partition en instrumentiste raffinée, regard rivé sur le chef d’orchestre, sans nous proposer, par retenue ou par conscience professionnelle, les déceptions, les frustrations, les appétits, les accomplissements de la comédienne. Les films qui passent n’y changent rien. Complicité permanente avec la caméra, que nuance furtivement un sens inné du dérisoire ; visage offert, corps mobile, disponible, émotion légère prête à s’épandre, emportements fragiles, émerveillements contrôlés», affirmait celui qui l’a dirigée dans « En haut des marches » (photo), en 1983. «Son charme, son élégance et sa beauté sont inscrits dans la mémoire du cinéma. Son humilité fera sa grandeur», écrivait encore Paul Vecchiali.
Danielle Darrieux l’assurait : «Les acteurs d’aujourd’hui ont tout compris. Ils sont naturels… Regardez « les Deschiens ». Ils sont plus proches de moi que toutes les bourgeoises que j’ai incarnées. J’ai l’impression de leur appartenir ! On est là pour s’amuser. Je suis très loin de toutes ces valeurs conventionnelles…»(2)
Jérôme Gac
(1) La Croix (07/11/2006)
(2) L’Express (24/05/1997)
Rétrospective,
du 21 novembre au 13 décembre ;
Exposition, jusqu’au 7 janvier.
À la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse.
Tél. : 05 62 30 30 11.
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photos © collections
La Cinémathèque de Toulouse