Walter Sutcliffe et Kaspar Glarner ne cèdent pas au manichéisme du « haut » et du « bas » : le « haut » est pollué par les sacs en plastique du « bas » ; la nature du « haut » fait pousser des herbes folles – mauvaises herbes ! – dans la salle des machines du « bas ».
Et un superbe travelling vertical établit un continuum irréfutable entre « haut » et « bas », crête, falaise, usine. Il y a du brouillard en « haut » et en « bas ». Des loups aussi. Une double volée de marches relie le « bas » à un entre-deux invisible.
En « bas », la faillite a mis les machines à l’arrêt et la caisse à outils de Moruccio est bien dérisoire. Les locaux sont mal entretenus, le canapé plein de poussière. Et tout comme la courroie de transmission ne transmet plus rien, les fils des marionnettes que Sebastiano cherche à manipuler se gripperont.
Nous sommes à une époque où, donc, il y avait encore des sacs en plastique, ainsi que des antennes aux téléphones portables, des magnétophones à cassettes. Ce qui « ne s’allume pas » est une cigarette. Les filles portent des Converse à motifs. Les costumes peuvent sembler anodins, il n’en est rien. Pedro refuse la chemise jaune cocu à jabot, ridicule déguisement, et préfère rester ce qu’il est, un va-nu-pieds. Marta est fagotée dans sa robe blanche et sa mantille de mariage, qu’elle abandonne bien vite pour remettre son pantalon sans chic : pas de séduction , pas de nuit de noces. La robe rouge à volants d’une Carmen des rues, non pas libre mais sous contrainte, est mal ajustée – et ce n’est certainement pas une erreur de l’habilleuse.
La direction d’acteurs est extrêmement précise, pertinente et naturelle jusque dans les invraisemblances des changements de postures. Même la rupture de rythme qui fait chanter Marta en avant-scène face public est signifiante : hors du temps, hors de l’espace, hors de l’action, introspection amoureuse hors des lumières du lieu.
C’est un Nicolai Schukoff en très grande forme vocale qui prend Pedro à bras le corps comme Pedro le loup, passant du rêve naïf à la violence animale du duel final. La présence scénique est exceptionnelle jusque dans le moindre regard, la diction parfaite, l’aigu sans faille. De surcroît, l’artiste est fort sympathique.
Meagan Miller impressionne dans le rôle difficile et exposé de Marta ; sa confession psychanalytique sur le divan poussiéreux est un grand moment.
Le Sebastiano du baryton Markus Brück est un odieux magnifique, pervers manipulateur crédible sans en rajouter.
Scott Wilde porte bien les quatre-vingt-dix ans de Tommaso, dont on admire les graves profonds.
Délicate Nuri d’Anna Schoeck, amoureuse transie qui pense séduire en tricotant pour l’hiver. Elle est entourée de trois moqueuses commères, pestes à jolies voix (Jolana Slavikova, Sofia Pavone, Anna Destraël).
Paul Kaufmann et Orhan Yildiz donnent corps aux personnages de Nando et de Moruccio.
Du lever de clarinette sur la crête à la catastrophe, Claus Peter Flor et l’orchestre du Capitole projettent sur scène une infinité de couleurs, d’atmosphères, qui rendent passionnante une partition inconnue. Robes clinquantes et bouteilles faciles, le chœur du Capitole, encore une fois admirablement préparé par Alfonso Caiani, compose avec brio une foule détestable.
Triomphe aux saluts pour une équipe d’artistes manifestement heureux d’avoir travaillé ensemble cette œuvre rare.
Nouveauté de la saison : le programme de salle, désormais allégé, est distribué à chacun gratuitement, ce qui est une excellente initiative. On peut simplement regretter que les artistes de l’orchestre et du chœur n’y soient pas crédités…
Catherine Tessier
Capitole, 1er octobre 2017
Photos © Patrice Nin
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.