Compte-rendu concert. 37 ième Festival de la Roque d’Anthéron. Parc du château de Floran le 18 août 2017. P.I Tchaïkovsky. Lucas Debargue, piano. Orchestre National de Lettonie. Andris Poga, direction.
Debargue très convainquant dans le premier concerto de Tchaïkovsky
Avant ce concert une émotion particulière nous a saisie. Les grandes accords du concerto résonnaient dans l‘allée centrale émanant d’une salle de répétition. La rage avec laquelle le pianiste jouait était étonnante. Donner le premier concerto de Tchaïkovsky avec un orchestre Slave n’est pas une petite gageure pour le tout jeune pianiste français Lucas Debargue. Son entré en scène, tête baissée, regard éteint et dos rond comme poussé en avant par le chef, cela tenait de la marche au supplice plus que de la joie de jouer. Les premiers accords ont été très prudents, presque trop sages mais la puissance du geste était là. Le comportement du pianiste était marqué par une grande angoisse qui a mis un peu de temps à se disperser. Le public semblait suspendu aux mains de Debargue. Le pari était peut- être un peut osé ?
Le regard amical du chef, les sonorités chatoyantes de l’orchestre, le magnifique phrasé dans le premier thème ont mis le pianiste en confiance et ont créée l’osmose tant espérée. La grandeur de Debargue s’est révélée et n’a plus fait que croître. Le thème repris en cadence a marqué le retour de la confiance du pianiste en ses phénoménaux moyens. Cette tension perçue durant quelques minutes loin de gêner l’auditeur permet de comprendre cette incroyable défit que représente chaque concert pour les artistes. Et cette folle demande faite à de jeunes musiciens par les organisateurs, puis le public, mais qui est aussi une marque de confiance et un magnifique défit à relever pour le soliste. C’est ainsi que les grands moments de musique se forgent, dans l’effort, le travail, l’ audace et l’angoisse avant d’entrer en scène. On sait combien les plus grands sont soumis à ce stress incroyable. Horowitz qui du être jeté sur scène, Gould qui n’a plus donner de concerts, et Matha Argerich qui ne joue plus jamais seule pour ne parler que des plus immenses pianistes… Dompter son stress a été donc le pari réussi devant son public par Lucas Debargue. Et son interprétation du celebrissime concerto a été billante, soignée et surtout inventive. Les phrasés sont déployés avec élégance et les forte amenés avec finesse. Concerto russe mais comme françisé à la Ravel par une virtuosité assumée et de grande classe, déjouant les effets trop faciles habituels. Ce n’est pas incongru et même très intéressant cette parenté Tchaïkovsky-Ravel choisie par Lucas Debargue.
Le premier mouvement s’achève dans une fureur contenue de grande classe. L’orchestre tout du long est maitrisé par le chef qui semble très à l’écoute de son soliste qu’il couve des yeux. Il est pour beaucoup dans le développement de l’interprétation de Debargue. L’entente entre les musiciens est d’autant plus belle que nous avons pu voir ce soir que cela ne va pas de soit. Le deuxième mouvement a été le rêve éveillé attendu, dialogue éperdu entre un pianiste au legato suave et la beauté sublime des solistes survoltés. Flûte, violoncelle et hautbois slaves ont eu des sonorités riches et pleines de grande qualité. Le dialogue chambriste a été serein avec le pianiste grâce à la direction souple et élégante d’ Andris Poga. Le final caracole avec beaucoup de classe et la légèreté du toucher du pianiste fait merveille relayé par un orchestre tout en élégance et délicatesse. Les traits fusent, les instrumentistes se déchaînent mais Andris Poga garde un tempo serré qui garanti une belle tension dramatique pour un final haut en couleurs. Piano souverain et orchestre au sommet, ensembles, entonnant le thème final avec puissance mais sans perdre une élégance de chaque instant.
Le succès est total et le public fait un triomphe personnel au pianiste qui a vaincu, non pas le piano sauvage comme dans la BD Philémon, mais ses propres démons inhibiteurs de son talent. Les bis accordés le montre enfin détendu et heureux. Lucas Debargue a un grand avenir devant lui, nous lui souhaitons de ne pas perdre le plaisir de jouer et de faire confiance à ses moyens immenses.
L’orchestre de Lettonie et son chef Andris Pogan ont l’âme slave.
En deuxième partie de concert l’orchestre nous a offert une interprétation décoiffante de la symphonie Manfred de Tchaïkovsky. La direction très impérieuse d’ Andris Poga obtient de son orchestre des sonorités comme chauffées à blanc et des fortissimi absolument tonitruants. Entre poème symphonique au lyrisme échevelé et symphonie dramatique cette oeuvre complexe a coulé comme un fleuve tumultueux et magnifique. La puissance tant physique qu’émotionelle de cet orchestre National de Lettonie est vraiment très « âme slave ». Nous avons pu apprécier une partition très expressive défendue avec panache. Cela nous a permis de comprendre les aménagements faits par le chef pour accompagner le pianiste dans le concerto n°1 de Tchaïkovsky et peut être l’inquiétude de Lucas Debargue devant des sonorités si exubérantes de l’orchestre, éloignées de sa palette expressive délicate. La puissante et sauvage beauté de l’orchestre a déclenché des applaudissements enthousiastes du public. Ce concert a été très riche en émotions et très enthousiasmant. Lucas Debargue a interprété magistralement le premier concerto de Tchaïkovsky et l’orchestre a défendu avec puissance Manfred, une partition mal connue de Tchaïkovsky.
Les concert de la Roque d’Anthéron ont brassé large tant au point de vue des programmes que des sensibilités musicales. Un bien beau festival que ce millésime 2017 !
Hubert Stoecklin
Compte-rendu concert. 37 ième Festival de la Roque d’Anthéron. Parc du château de Floran le 18 août 2017. Piotr Illich Tchaïkovsky (1840-1893) : Concerto pour piano et orchestre n°1 en si bémol majeur op. 23 ; Manfred. Lucas Debargue, piano. Orchestre National de Lettonie. Andris Poga, direction.