Compte-rendu concert. 37ème Festival de la Roque d’Anthéron. Parc du château de Floran, le 14 août 2017. Bach, Schumann, Villa-Lobos, Chopin. Nelson Freire, piano.
Dans une maturité jupitérienne et fraternelle, le pianiste brésilien Nelson Freire prend possession de son piano avec calme et détermination, semblant d’avantage lui offrir une caresse que jouer, à la manière du roi de animaux qui se désaltère le soir venu. La soirée d’été était chaude dans le parc du château de Floran. Le public bondé comprenait bien des jeunes collègues du grand sage. Ce concert admirablement construit nous l’avions entendu et chroniqué à Toulouse au printemps (lire notre compte rendu du 15 mai 2017 à Toulouse, Halle aux grains : « Freire, musicien suprême »).
Nelson Freire le félin au soir serein
L’impression de plénitude est la même. La soirée estivale rend peut-être les choses encore plus belles et précieuses. Tant de pianistes entendus en quelques jours sous les cieux provencaux et certains qui ce soir viennent écouter. Ecouter et voir, la modestie de l’artiste immensément talentueux ; la beauté de ses mains aux doigts si souples qui semblent sans ossature ; la puissance assumée sans la moindre violence ; la compréhension intime de la construction des œuvres ; le rayonnement de l’artiste souriant et heureux de partager de la si belle musique.
Dans Bach, de son piano il obtient des variétés de couleurs comme la registration à l’orgue. Mais c’est le chant éperdu de Jésus que ma joie demeure qui dans la transcription de Myria Hesse émeut le plus. L’interprète rend à la Fantaisie en ut majeur de Schumann sa beauté formelle. Le génie de Nelson Freire est celui d’un musicien qui obtient de son piano ce qu’il veut. Ici un hymne à l’amour éclatant. Les courtes pièces de Villa-Lobos sont transcendées par une classe incroyable. La troisième Sonate de Chopin est sous ses doigts si sensibles, un monument proche de la perfection. La souplesse du toucher est un mystère, la forme même des doigts est tout de rondeur. La parfaite construction de la Sonate permet un déploiement harmonieux de ces vastes proportions sous des doigts si félins. Jamais de dureté même dans les forte tonitruants, une rapidité de fusée que l’œil ne peut suivre dans le scherzo, mais surtout le moelleux du largo est tout à fait voluptueux. Le finale lui est absolument grandiose mais reste élégant avec ce prince du piano au souffle généreux. Un grand moment de musique sous le ciel étoilé de la Roque d’Anthéron ! Avec bonhommie et malice Nelson Freire offre trois bis au public enchanté. Une Mazurka de Chopin, un tango d’Albeniz et l’inénarrable marche des noces de Grieg extraite des pièces lyriques.
Compte-rendu concert. 37 ième Festival de la Roque d’Anthéron. Parc du château de Floran le 14 août 2017. Johann Sebastian Bach (1685-1750)/Alexander Siloti : Prélude en sol mineur pour orgue, BWV 535 ; J. S. Bach/Ferruccio Busoni : Ich ruf zu Dir, Herr Jesu Christ, BWV 639 ; Komm, Gott Schöpfer, heiliger Geist, BWV 667 ; J. S. Bach / Myra Hess : « Jésus que ma joie demeure ». Robert Schumann (1810-1856) : Fantaisie en ut majeur, opus 17. Heitor Villa-Lobos (1887-1957) : 3 pièces de A Prole do Bebê : Branquinha, A.Pobrezinha, Moreninha ; Bachianas Brasileiras nº 4, Prelúdio. Frédéric Chopin (1810-1849) : Sonate n°3 en si mineur, opus 58. Nelson Freire, piano.