Compte rendu concert. 37 ième Festival de la Roque d’Anthéron. Abbaye de Silvacane. Le 14 août 2017. L.V.Beethoven. F.Schubert. Adam Laloum, piano.
A 30 ans, le pianiste Adam Laloum est un musicien qui atteint une profondeur d’interprétation incroyable. Je dis musicien car j’ai eu la chance de l’entendre en tant que chambriste, soliste avec orchestre et en récital. Ses enregistrements sont extrêmement équilibrés entre musique de chambre, avec en particulier le Trio « Les esprits » et de très beaux récitals. Sa qualité d’écoute est sidérante, dépassant largement celle d’un simple pianiste. C’est au cours de ce récital de piano dans l’intimité du Cloître de l’Abbaye de Silvacane que sa fine musicalité a semblé se développer davantage. La disposition du piano de biais dans un coin dégage pour une partie du public, la vue des mains, le visage de profil et pour l’autre le visage du pianiste de face. Le pianiste et son instrument sont donc comme protégés par cette encoignure. J’ai vu ses mains et ses mouvements créant l’intimité avec le piano : c’est beau. Mais je crois que le plus émouvant est la vision de son regard quand il joue. Ce regard vient des profondeurs et va loin.
Adam Laloum en maître des émotions partagées
Et si l’émotion qui naît à l’écoute de son récital est si particulière, je crois que c’est bien ce regard intérieur, et qui nous entraine si loin, qui la rend si forte. Je ne parlerai pas de piano, les ingrédients de sa pâte sonore sont de grande qualité, ses couleurs variées, ses nuances creusées et ses phrasés, très bien conduits au plus profond des phrases. La faculté qu’il a d’habiter les silences, de laisser vivre le son jusqu’à son terme avec respect avant de reprendre… est une qualité bien plus précieuse encore. Toute l’organisation des plans sonores est d’une grande lisibilité. Ce qui touche tant le public est probablement cette manière d’être invité si intimement à partager sa vision poétique et son interprétation si profondément humaniste des messages du compositeur.
Des deux sonates de Beethoven, « la Pathétique » et la « Waldstein », je voudrais dire combien c’est le dernier mouvement de la « Waldstein » qui m’a bouleversé.
Adam Laloum prend tout son temps et met le poids qu’il convient dans l’Adagio molto pour créer un monde sombre, complexe dans ses harmonies riches, et qui contient bien des douleurs. Une pâte admirablement souple et lourde qui bouleverse par des irisations pénétrantes. La sublime mélodie du dernier mouvement naît de cette ombre si complexe pour apporter la lumière de l’espoir. En qualité, cet espoir quasi délirant est la même que celui de Florestan au fond de son cachot. Cet espoir que chacun veut entrevoir, même dans la plus grande terreur. Tout est ensuite une construction de la volonté arquée vers cet idéal de beauté et de lumière. Le bonheur menacé bien souvent mais qui est rêvé profondément avant d’être entrevu et saisi de justesse. La suprématie du sens sur le simple son est comme une évidence merveilleuse. La partie centrale fuguée est d’une force de conviction incroyable. Adam Laloum en sort lui-même transfiguré, le public abasourdi par ce chemin victorieux, mais de peu, vers la lumière lui fait un véritable triomphe.
La suite du programme est de la même eau. Celle du compagnonnage dans le monde si extraordinairement poétique du Schubert des dernières Sonates. Justement dans la D.958, le chant est partout, les rythmes sont d’une élégance rare et le tout est d’une impression d’évidence. Et toujours cette manière unique de respecter le son avec des silences si habités. Très reconnaissant pour ce merveilleux voyage le public a applaudi chaleureusement le musicien épuisé mais heureux qui a encore sacrifié aux bis… toujours avec Schubert !
Compte rendu concert. 37ème Festival de la Roque d’Anthéron. Abbaye de Silvacane. Le 14 août 2017. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n° 8 en ut mineur op.13 « Pathétique » ; Sonate n°21 en ut majeur op. 53 « Waldstein ». Frantz Schubert (1797-1828) : Sonate n°21 en ut mineur D.958. Adam Laloum, piano.