Espagnol jusqu’au bout des ongles, Luis Fernando Pérez est un artiste unique qui ne cesse d’émerveiller le public du monde entier en interprétant les compositeurs les plus rares de la péninsule ibérique mais il excelle également plus classiquement dans Chopin. Ses enregistrements espagnols de Padre Soler en passant par Granados et De Falla nous ravissent avec un tout nouveau CD consacré à Mompou qui est une pure merveille. Loin des oppositions régionales, il enseigne à Madrid et Barcelone.
Pérez ou le mouvement fait piano
Son récital dans le très gracieux cadre du cloître de l’Abbaye de Silvacane affichait complet. Voir ce diabolique pianiste jouer est un spectacle enthousiasmant. La quarantaine flamboyante, Luis Fernando Pérez prend possession de l’espace autour de lui et nul ne sait si ses mains sont deux ou plusieurs ni comment il entre et sort du piano à volonté. Ce qui est certain c’est que dès son arrivée au piano, il est habité par la musique complexe et un peu difficile d’accès de Mompou ; nous sommes entrainés avec sa fougue dans un univers de danses, de gestes et de mouvements ondulants irrésistibles. La musique de Mompou est complexe en ce qu’elle va à l’essentiel et élimine le superflu pianistique. Musique d’ambiance qui véhicule la vie même en ses éléments disparates mais tous importants, sans enchainements logiques. Puis Granados nous fait entrer dans une Espagne populaire revue par une intelligence rare et magnifiée en rythmes et couleurs éblouissantes. De Falla avec son Amour sorcier (El Amor Brujo) fait du piano une scène de théâtre complète.
Rien jamais n’est statique, tout est mouvement chez Luis Fernando Pérez, capable de terminer un trait incroyablement fulgurant d’une main crochue. Il se fait un jeu d’enfant des superpositions les plus audacieuses, des contre-temps les plus imprévisibles, des nuances fulgurantes les plus extrêmes et des harmonies les plus inattendues qui sont la vie même. Les couleurs sont saturées ou diaphanes et les phrases précises ou alanguies à souhait. C’est sa main gauche qui peut avoir une implacabilité diabolique, la main droite semblant danser au bord de l’abime avec une grâce infinie. Luis Fernando Pérez fait sienne la technique redoutable, joue sur les ambiances les plus contrastées, les couleurs vont du plus inquiétant au plus lumineux, sans nous laisser reprendre haleine. La danse rituelle du feu qui conclue la suite de l’Amour sorcier est un embrasement d’une fulgurance pianistique rare. Navarra d’Albeniz conclut ce récital incroyable avec panache et élégance. Le jeu physique de Luis Fernando Pérez est unique et la poésie forte qu’il incarne avec brio, reste dans les mémoires comme un moment de totale fulgurance. Un grand artiste, très incarné, qui symbolise la beauté et la puissance d’expression de son Espagne natale comme personne aujourd’hui et avec une joie de vivre communicative.
Compte rendu concert. 37 ième Festival de la Roque d’Anthéron. Abbaye de Silvacane. Le 13 août 2017.Federico Mompou (1893-1987) : Scènes d’enfant, cris dans la rue ; Enrique Granados (1867-1916) : Danses sur des thèmes populaires espagnols, ext. ; Manuel de Falla (1876-1916) : L’amour sorcier, suite pour piano ; Isaac Albéniz (1860-19090) : Navarra ; Luis Fernando Pérez, piano.
Hubert Stoecklin