La grille monumentale, la falaise abrupte, les piliers gothiques, les costumes lourds, disent d’emblée le confinement de Lucia sous la chape de l’implacable volonté familiale. Ses cheveux roux et sa robe verte se fondent dans les ogives rousses et vertes du château : elle fait partir du décor, un meuble donné en gage. Et, figés dans leurs passions stériles comme ils le seraient sur une toile, les personnages ne se regardent pas.
Mais même une mise en scène (magnifiquement) décorative n’échappe pas aux détails cocasses : Lucia, qui ne peut regarder la fontaine sans frémir, se repose toutefois calmement auprès de ses eaux fumantes ; plus tard, dans la chapelle sans tombe des Ravenswood, les blasons des trois vitraux centraux portent la devise lucia – usurpation d’Ashton marquant son territoire jusqu’au détail des fenêtres ou plaisanterie du décorateur ?
Emma Bovary aurait-elle été entraînée vers l’homme par l’illusion du personnage ? Affublé d’une méchante perruque, visage impassible, l’Edgardo de Sergey Romanovsky peine à convaincre de son amour pour Lucia, de sa jalousie, de son désespoir.
On retrouve avec plaisir Vitaliy Bilyy, Enrico solide, bien incarné – sourire du parfait salaud compris ; on lui pardonnera quelques effets un rien emphatiques – on y goûte autant que lui. Malgré un petit accident en fin de son annonce de l’indicible, Maxim Kuzmin-Karavaev offre un Raimundo convaincant. La mise en scène peu caractérisée n’épargne pas l’Arturo vaillant de Florin Guzgă et le Normanno un peu nasal de Luca Lombardo, à peine esquissés. Malgré ses courtes interventions, on remarque la belle Alisa de Marion Lebègue.
Magnifique Comtesse des Noces la saison passée, Nadine Koutcher propose une Lucia déterminée jusque dans sa « folie ». Trilles, piani, aigus semblent naturels, faciles. Sur le plateau déserté par invités et piliers partis sur la pointe des pieds, ses réminiscences sont habitées, mais sans aucun excès. Une Lucia moins pyrotechnique que passionnante.
L’excellence des artistes du chœur est encore une fois à souligner. Maurizio Benini réussit un parfait équilibre entre l’orchestre – où l’on remarque la harpe d’Adeline De Preissac et la flûte de Sandrine Tilly – et le plateau. Le sextuor, où chaque voix se distingue aisément des autres, est un moment fort.
« Edgardo, il m’a fait pleurer, je l’épouse tout de suite », dit une jeune fille en sortant. Il y avait donc une Emma dans la salle.
Photos © Patrice Nin
Capitole, 21 mai 2017
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.