Musique beauté et liberté
Vive les Passions !
Concert. Cordes-Tolosanne. Abbaye de Belleperche, le 22 avril 2017. Vents des royaumes. Musiques entre orient et occident. Jean Marie Leclair (1697-1764) : extraits de la Deuxième récréation. Musiques traditionnelles orientales et créations. Nan JIANG , guzheng ; MANDAAKHAI, chant diphonique et morin khuur ; Yang Yi-PING, percussions ; Jean-Marc ANDRIEU, flutes à bec ; Gilone JACQUES, violon ; Pauline LACAMBRA, violoncelle, Yasuko UYAMA-BOUVARD.
Il est ces concerts qui sont avant tout des voyages et des rêves éveillés. En cette fin d’après midi, dans le vaste couloir au premier étage de l’Abbaye de Belleperche face à une immense fenêtre a eu lieu une expérience foudroyante pour le public de Made un Asia 2017, en rang serrés . Mercredi soir au METRONUM dans une tout autre ambiance les artistes avaient donné un concert similaire.
Tout commence entre grâce, élégance et légèreté. Les instrumentistes des passions abordent la musique suave de Jean-Marie Leclair. Flute, violon, violoncelle, Clavi-orgue rivalisant de délicatesse toute française du grand siècle. Puis c’est la magie qui opère et il n’est plus possible de relater ce qui s’est exactement passé. Rappelons que la rencontre de ses artistes aux horizons si éloignés ne date pas d’hier. Leur coup de foudre musical avait donné lieu à un concert au THEATRE CAPITOLE en 2012.
A partager ainsi leurs arts, a voir le plaisir qu’ils ont à s’écouter les uns et les autres, mais surtout à déguster les effets de leur complicité malicieuse dans les moments d’improvisation notre régal est sans limites. Nous connaissons bien les qualités musicales et humaines des musiciens des passions. En équipe resserrée, Jean-Marc Andrieu et Yasuko Uyama-Bouvard ont été les piliers et en s’adjoignant les délicieuses Gilone Jacques et Paulina Lacambra respectivement au violon et au violoncelle, la beauté et le talent se sont donné la main. Car les deux artistes asiatiques toute de grâce faite art total ont été de véritables fées cousines des cordes françaises.
Jiang Nan joue d’un instrument double, sorte de Cythare chinoise avec mailloches, ou plectres sous ses doigts lui permettant de jouer en modes lorsqu’elle est dans son univers, nous la voyons déplacer des touches entre ses morceaux, et en tempérament (le fameux clavier bien tempéré) pour jouer avec les instruments baroques. Tout lui est facile et l’élégance des gestes, les sourires et les sons magiques qu’elle crée sur son instrument, tour a tour légers comme des clochettes, à la manière d’un cymbalum, ou fort comme un clavecin, sont particulièrement émouvants.
Aux percussions Yang Yi Ping est une véritable soliste qui pourrait à elle seule faire un récital, nous la voyons avec une inventivité diabolique utiliser jusqu’ à des balais brosses, des grains de riz, du papier aluminium et de l’eau pour nous faire faire entrer dans un voyage au centre de la terre. Elle assure une percussion sensible dans chaque pièce instrumentale entre orient et occident sans solutions de continuité. Elle est à l’ aise partout et tout le temps, mis surtout ses improvisations libres à la manière des concerts de Jazz, lui permettent d’oser des créations de la plus haute poésie. Très inspirée par la beauté du lieu elle évoque le ciel et le vent quand au dehors nous voyons les acacias croulant sous leurs lourdes floraisons dont le vent s’amuse. Plus tard les Choucas en un vol spectaculaire ont été les frères des oiseaux de Yang Yi Ping. Après l’eau, l’air, c’est la terre et le feu qui sont le ciment entre tous les humains et toutes les musiques. Quelle belle harmonie en ces moments sociétaux si divisés. Quel démenti aux nationalismes racornis !
Longtemps silencieux, d’un sérieux très impressionnant jouant de son incroyable vielle à deux cordes et tête de cheval le chanteur diphonique Mandaakhai, nous touche en profondeur, quasi viscéralement, quand sa voix semble s’élever de la profondeur du temps. La technique de la voix diphoniques est métaphysique entre mathématique et philosophie, car la langue participe à la vibration vocale en multiple de fréquences du son de base. Le résultat est de l’ordre du magique entre sons abyssaux des profondeurs de la terre et des aigus surnaturels évoquants quelque divinité supra céleste. Lui aussi aura des moments d’improvisation comme en transe chamanisme.
Pour évoquer un moment magique de création en commun si incroyablement réussi, et comme je n’ai entendu et vu personne en créer, je me souviens de ce départ d’un chant diphonique accompagné par la vielle, évoquant les steppes mongoles désolées et un cheval fougueux, qui s’embrase et donne envie à Gilone Jacques d’y introduire des volutes de son violon charmant. Avec un naturel et un chic incroyable Jan-Marc Andrieu s’y mêle à la flûte et sans que nous sachions quand Pauline Lacombra double la vielle. Et avec une évidence indiscutable chacun a su rentrer dans la danse et la finir avec une danse inspirée de Leclair incroyablement vivifiée.
La magie du lieux, le partage sensible et généreux de musiciens de cultures variées et complémentaires ont donné un concert inoubliable à la veille d’une élection présidentielle au résultat si mesquin.
La culture rassemble les hommes dans leurs différences, tous filles et fils de la terre mère.
Hubert Stoecklin