L’homme aux mille visages, un film d’Alberto Rodriguez
Au début des années 90 du siècle dernier, la Péninsule ibérique vit des moments politiques difficiles, minée par une corruption massive. Felipe Gonzalez, chef du gouvernement espagnol, ne va pas tarder à être littéralement éjecté du pouvoir. Pour arranger le tout, voilà que Luis Roldan, psychopathe notoire et aussi chef de la Guardia Civil, la Gendarmerie espagnole, se carapate en douce avec des centaines de millions allègrement détournés des caisses publiques.
Aidé dans cette cavale par un homme de l’ombre, ex-agent secret espagnol, Francisco Paesa, homme de réseau et génie de l’arnaque, Luis Roldan va devenir invisible aux yeux de la police de son pays.
Aussi invisible que la fortune qu’il a amassée et que Paesa va se faire un plaisir de faire disparaître au travers de différentes transactions internationales. Tout cela et bien d’autres péripéties hallucinantes, jusqu’à la fausse arrestation/reddition de Roldan, Alberto Rodriguez nous le conte avec un sens affûté du docu-fiction saupoudré de romanesque. Autant vous le dire de suite, le trajet n’est pas simple et une grande attention est indispensable au suivi des mélismes incroyables dans lesquels Paesa embrouille tout son monde. Loin d’une quelconque et vaine vision de ce milieu des barbouzes façon James Bond, le dernier opus de ce réalisateur se veut analytique, chirurgical, loin de toute empathie pour ses personnages, abrupt parfois, inconfortable souvent, confus à ses heures. De palaces en chambres de bonne, de Paris à Bangkok, la cavale est rocambolesque, mais véritable. In fine, Roldan est « arrêté » en Asie en février 1995. Il est condamné à 28 ans de prison dont il ne fera que 15.
Paesa entre alors dans la légende et les plus folles rumeurs vont se mettre à circuler à son sujet. Longtemps passé pour mort, il « aurait » accordé un entretien au magazine Vanity Fair lorsqu’il a appris la sortie du film… Il « serait » toujours détenteur d’un passeport diplomatique, se déplace dans le monde entier sans aucune difficulté, « aurait » même conseillé certains politiques sur le Brexit, « continuerait » à influer sur les cours du pétrole et « aurait » perdu de l’argent dans l’affaire Roldan. Sur ce dernier point, d’autres rumeurs circulent… C’est la star espagnole Eduard Fernandez qui endosse ce costume de passe-muraille avec un réalisme glaçant.
Robert Pénavayre
Alberto Rodriguez – Un témoin de son temps
Si l’on ne sait pas grand-chose, côté people, de ce réalisateur espagnol, tout au moins convient-il de souligner qu’il fut présent lors du festival toulousain Cinespana de 2002 (il a alors 30 ans) avec son premier film El Traje (Le Costard). Après des études en Son et Images à la Faculté des Sciences de Séville, il entre à la télévision espagnole. C’est là qu’il peaufine ses métiers de réalisateur et scénariste. C’est La Isla Minima en 2014 qui va propulser ce pourfendeur des pires dérives politiques de son pays sous les feux des projecteurs. Avec le dernier opus sous rubrique, il n’est rien de dire qu’il continue sa chasse aux sorcières !