Compte-rendu Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole. Le 17 mars 2017. Giuseppe Verdi: Ernani ; Brigitte Jaques-Wajeman, mise en scène. Orchestre national du Capitole et Chœur du Capitole. Evan Rogister, direction musicale.
Hernani à sa création fut un tel scandale qu’il y eu une « bataille d’Hernani », laquelle devint le manifeste du théâtre romantique dont Victor Hugo fut le chantre européen. Mouvement esthétique et politique qui nous rappelle que l’Europe ne date pas du XXème siècle ! Lorsque Verdi décida de s’attaquer à ce monument en 1844, il savait tout cela car la « Bataille » datait de 1830. La victoire acquise aux artistes du renouveau, il restait à Verdi de trouver une musique digne de ces enjeux. Dans cette période de « Galère » qui lui fit composer plus d’un ouvrage par an, Ernani est un opéra à part dans la production verdienne. Plus riche que d’autres musicalement et surtout dramatiquement très fort. La désaffection des maisons d’opéras pour cet ouvrage est une simple paresse car la beauté musicale atteint le niveau du Trouvère. Les moyens vocaux sont considérables. Ernani, le rôle titre est alternativement flamboyant, sombre, lyrique, amoureux ou guerrier. Elvira est un long soprano spinto avec des moments de pur bel canto, des vocalises agiles, des moments de pure grâce céleste et une force à toute épreuve afin de dominer les nombreux ensembles et les deux finals lui sont indispensables. Don Carlo est probablement le premier « baryton verdi » avec cette quinte aiguë victorieuse et une évolution psychologique passionnante. Le rôle de basse de Silva est également splendide, même s’il est plus monolithique. Et la musique de Verdi offre à l’orchestre un rôle fondamental, à mon sens plus réussi que dans Le Trouvère. Le chœur est très présent également.
Le flop scénique d’Ernani à Toulouse :
point de Bataille d’ Hernani !
Ce long préambule permettra d’accepter l’ampleur de la déception qui accompagne la découverte de cette nouvelle production capitoline. Si les moyens conséquents mis en œuvre n’apportent pas de satisfaction ce n’est pas la faute de la maison. Les costumes en particulier sont de belle tenue mais sont laids et passe-partout. Les lumières sont complexes mais sont un peu des cache-misères. Les décors dont un arbre spectaculaire, des panneaux grandioses qui s’ouvrent sont dépourvus d’intelligence dramatique. Quand à la mise en scène, c’est une nébuleuse, un vide et un malaise nous saisit. Brigitte Jaques-Wajeman vient du théâtre, pour un opéra dont l’importance théâtrale est susdite ce qu’elle propose n’est qu’indigence. Nous avions beaucoup apprécié son travail dans Don Giovanni, autre opéra titré du meilleur théâtre possible, Molière. Dans Ernani, il ne se passe rien. Les chanteurs chantent, les chœurs sont en place. Et c’est tout. Tout ça pour si peu ! Et concernant les chanteurs heureusement que le ridicule ne tue pas…
Point de théâtre visuel donc, c’est irréparable, mais pourtant du drame par la grâce de la musique de Verdi se construit. C’est là qu’au final son génie triomphe car le puissance de la musique entraine le public à vibrer et à applaudir. L’Elvira de Tamara Wilson est impériale. Voix souple, lumineuse aux aigus aussi beaux dans les forte que les pianissimi célestes. Vocalises et trilles impeccablement réalisés. Et sa présence vocale dans les ensembles fait qu’elle domine ses partenaires. C’est après tout trois hommes qui la courtisent ! Dans les deux finals aux concertati grandioses elle domine la masse vocale chorale et soliste sans faillir. Reste son piètre jeu et un physique difficile que son chant sublime fait oublier. Ernani est un ténor né à Séoul dont la voix puissante est sans séduction. Comme son jeu qui ne lui permet, pas plus que ses costumes ridicules, de camper le personnage, tout tombe à plat. Vocalement dans la puissance tout du long, avare de couleurs et de nuances, sans phrasé intéressant l’Ernani d’Alfred Kim est inexistant, sans charisme, ni sombre mélancolie, sans noblesse, ni vraie mouvement d’âme. Quand on sait les reproches faits à Hugo sur ce personnage « excessif en tout », on reste songeur…
Le Carlo du baryton ukrainien Vitaliy Bilyy est une force vocale de la nature. L’insolence du timbre, la puissance de la voix sur tout l’ambitus sont considérables. Mais est-ce suffisant pour camper ce personnage à l’évolution majeure, passant du séducteur à qui tout réussit au monarque capable de grandeur d’âme ? Belle voix, beau chanteur mais interprète un peu court. C’est donc Michele Pertusi en Silva qui offrira la composition la plus complète. Voix solide à la profondeur confortable, ligne de chant sublime, maintient sur scène impeccable. Tout est là. Voilà comment son expérience de plusieurs décennies des plus grandes maisons d’opéra, des meilleurs metteurs en scène et des meilleurs chefs, lui permet de se rire de cette production si faible. Silva inquiète, irrite, mais il est émouvant, il vit.
Le chœur du Capitole est vocalement splendide, il nuance avec aisance et a des couleurs somptueuses. L’Orchestre du Capitole est comme galvanisé par un chef dont il convient de retenir le nom. Evan Rogister est une réincarnation des grands chefs des années 50 quand on savait donner à Verdi sa puissance et son drame. Il ose des nuances subtiles, pianissimi subtiles puis ménageant des fortissimi tonitruants dans les finals toujours dans un équilibre parfait entre tous les plans. Les ralentis sont accordés aux chanteurs, offrant ce slancio verdien devenu si rare. Le tempo est vivant, comme élastique, mais jamais flou. Une main de fer dans un gant de velours et une joie à réaliser cette belle musique, avec cet orchestre si doué dans des sourires et des gestes d’un enthousiasme incroyable. Il établit un lien plateau / fosse sans faiblesse. La production est dramatiquement sauvée par sa direction particulièrement musicale et inspirée. Nous avons hâte de réentendre Evan Rogister diriger non seulement dans la fosse mais aussi au concert, un Orchestre du Capitole avec qui il semble s’entendre à merveille.
La dernière remarque portera sur deux incidents graves que la direction intérimaire du Capitole n’a pas souhaité éviter. Cela reste indigne de la haute histoire du Capitole, de ces générations de mélomanes enthousiastes et exigeants dont les mânes ont du rougir. Comment imaginer dans cette auguste maison être tombé si bas ? Une représentation s’est déroulée sans Elvira. En effet Tamara Wilson sans voix a du monter sur scène faute de doublure ! Tout notre respect à l’artiste en difficulté soudaine qui ose pour sauver la représentation se mettre dans un tel tourment et mettre en péril sa carrière en forçant un organe souffrant. Mais pire encore.
La dernière représentation a été annulée faute d’Ernani car Alfred Kim s’est lui même arrangé pour être frappé d‘«impeachment».
Le nouveau directeur du Théâtre du Capitole vient d’être nommé. Exigeons de Christophe Ghristi que plus jamais pareille injure au public, aux artistes, aux compositeurs et à l’Opéra du Capitole ne soit faite. Plus jamais ! Non, surtout quand on sait la capacité de nombreux chanteurs du chœur à chanter des rôles de premier plan et à la quantité de jeunes artistes prêts à monter sur scène. De telles pratiques négligentes tuent plus surement l’opéra qu’il n’y paraît !
Compte-rendu Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole. Le 17 mars 2017. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Ernani ; Opéra en quatre actes sur un livret de Francesco Maria Piave, d’après Hernani de Victor Hugo créé le 9 mars 1844 à la Fenice de Venise ; Nouvelle production ; Brigitte Jaques-Wajeman, mise en scène ; Sophie Mayer, collaboration artistique ; Emmanuel Peduzzi, décors et costumes ; Jean Kalman, lumières. Avec : Alfred Kim, Ernani ; Vitaliy Bilyy, Don Carlo ; Michele Pertusi, Don Ruy Gomez de Silva ; Tamara Wilson, Elvira ; Paulina González, Giovanna ; Jesús Álvarez, Don Riccardo ; Viktor Ryauzov, Jago ; Orchestre national du Capitole ; Chœur du Capitole, Alfonso Caiani direction ; Evan Rogister, direction musicale. Illustration : Ph. Nin / Capitole de Toulouse 2017.