Qu’il soit de Séville ou bien d’Aragon, Brigitte Jaques-Wajeman place la destinée de son Don Giovanni dans un vide. Avec arbres.
Sans unité de lieu ni de temps, Ernani demande de l’astuce ou de longs précipités, de l’imagination ou des toiles peintes de ciels orageux. Au pied de deux grands arbres donc, les bandits sortant à peine de leur sommeil parlent haut, boivent du vin et jouent aux cartes. Point de tombes dans le sépulcre de Charlemagne – à moins qu’il ne repose dans l’une des caisses numérotées entreposées dans ce bunker lugubre. Au palais-prison de Silva, les bancs de la chapelle sont renversés dans un fracas muet à la Playtime.
L’action semble située sous quelque dictature du XXe siècle, avec ses chemises, cravates, sbires, ninjas, et femmes en tailleur strict. Un Jaruzelski aux lunettes noires sème la terreur. On dissimule son identité et son gilet d’or sous un bomber, un bonnet enfoncé jusqu’aux yeux. Mais la clémence d’un roi honoré avec pourpre et hermine libérera robes et cheveux.
Tamara Wilson et Alfred Kim n’ont pas trouvé l’alchimie requise et semblent réciter machinalement leur partition gestuelle. La première donne cependant une Elvira vocalement très convaincante, tout en nuances. En revanche le second, méconnaissable au regard de son Manrico ou de son Calaf, inquiète dès son air d’entrée, Ernani à la voix râpeuse et au vibrato très prononcé. Même si son italien se teinte çà et là d’accents slaves, Vitaliy Bilyy campe un Carlo impressionnant, particulièrement dans le monologue du sépulcre , secondé par son gigantesque double d’ombre.
Les incohérences de mise en scène font que Silva s’appuie sur sa canne au I, puis rajeunit subitement au II bien avant de le dire – L’ira mi torna giovine – et, vaincu par la déception, retrouve ses vieilles douleurs et sa canne au IV. Mais dès l’entrée sur scène des lunettes noires, quelque chose se passe. Le phrasé, l’intelligence du rôle, la grande élégance de Michele Pertusi offrent ces instants uniques d’émotion que l’on était venu chercher.
Parmi les seconds rôles, on remarque les très belles interventions de Viktor Ryauzov en Jago.
Admirablement préparés, comme à l’accoutumée, par Alfonso Caiani, les artistes du chœur du Capitole construisent leurs différents personnages par le chant, à défaut de pouvoir les jouer autrement qu’en entrant et sortant. Le jeune chef Evan Rogister s’empare de l’œuvre avec une insolence désarmante, met en valeur tous les pupitres et règle un parfait équilibre entre la fosse et le plateau.
Ce Don Giovanni d’Aragon devra subir la sentence d’un commandeur s’invitant à la nuit de noces, surgissant du drap blanc suspendu devant la toile peinte. Le rouge de l’enfer guettait à jardin, mais c’est engloutis par le drap qui s’affale que les amants disparaissent – ou sont prêts à jouer aux fantômes.
Photos © Patrice Nin
Capitole, 12 mars 2017
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.