Au théâtre du Grand Rond, « Le Delirium du papillon » de Typhus Bronx inaugure le cycle « La 5è dimension », série de spectacles sur la représentation de la folie.
Quand la lumière éclaire le plateau du théâtre du Grand Rond, une blancheur aveuglante saisit le spectateur : celle de toiles masquant les murs, d’un lampadaire à jardin et d’une table à cour. Au centre, coincé derrière le grillage d’un sommier en position verticale, un individu au visage maquillé de blanc et entravé par une… camisole de force. Dans cette cellule d’isolement d’un hôpital psychiatrique, pointe une tache rouge : un nez de clown que porte ce drôle de personnage, à la voix et au regard enfantins. Un « masque » de clown nous signifiant que nous sommes bien dans une farce malgré la thématique du spectacle, le comédien pratiquant d’ailleurs avec virtuosité le jeu de la distanciation avec son personnage. Typhus Bronx est atteint du « delirium du papillon ». Un corps agité et virevoltant comme un insecte pour une tête et un cœur habités de fantômes. Symptomatiquement, il est d’une inquiétante ingénuité quand il n’est pas carrément terrifiant. Typhus Bronx, dont on apprendra qu’il souffre également du complexe d’Oedipe, puisqu’il semblerait s’être débarrassé de son père pour disposer exclusivement de sa « maman », s’entretient avec tous les objets et les parties de son corps, fait parler la nourriture et interpelle ses fantômes : nous. Si vous êtes allergique aux spectacles participatifs, ce « délirium » n’est pas pour vous car l’adresse constitue le principe même de la performance.
En effet, Typhus, persuadé qu’il s’agit du jour de sa « délibération » nous a conviés à fêter l’événement, descendant régulièrement à travers les rangées de spectateurs pour faire connaissance. Ainsi, à un homme chauve : « Pourquoi tu as mis de la peau sur tes cheveux ? », à une spectatrice particulièrement bien coiffée «Tu es venue avec tes cheveux de Barbie ?»… Personne n’échappe à son regard : enfants, personnes âgées, couples… Rien de méchant, tout est dit avec cette poésie naïve propre aux jeunes enfants et aux cœurs simples. Précédé par son succès au dernier festival de rue de Ramonville « Le Delirium du papillon » dans sa version aujourd’hui en salle, remplit les fauteuils du théâtre toulousain, tous les soirs. Le public en empathie avec ce clown échappé d’un roman de Stephen King, ne rechigne pas à lui prêter son téléphone portable ou à l’aider à se défaire de sa camisole. Typhus Bronx a déjà ses fans et l’on pressent que son vocabulaire inventif ne tardera pas à être repris dans les cours d’école : « je te grosmercie » (remercie) « tu es une moule pouillée » (poule mouillée), « c’est le gros pondeur » (répondeur)… Si l’on éclate d’un rire tantôt franc et tantôt jaune, ce n’est pas tant dû au texte plutôt bien écrit mais toutefois assez convenu, mais à la performance du comédien Emmanuel Gil. Deux séquences courtes mais stupéfiantes relèvent du génie : l’une, de manipulation d’objets, digne du plus sévère maniaco-dépressif, et l’autre, de jonglage vocal, dans un numéro hallucinant de trouble de la personnalité multiple, témoignent d’un acteur en pleine possession de son art. Emmanuel Gil, s’inscrit dans la filiation de ces comédiens-clowns qui ont marqué l’univers de la folie : on pense évidemment à Zouk à laquelle il rend un bref et « percutant » hommage ! Troublant, « Le Delirium du papillon » cache derrière son rire de clown le vrai drame des solitudes des internés. Revenu d’un combat interne féroce avec tous ses fantômes, Typhus Bronx finira par sortir de sa chrysalide pour se métamorphoser devant nos yeux presqu’étonnés… en un comédien charmant et radieux saluant un public enthousiaste et conquis.
Une chronique de Sarah Authesserre pour Radio-Radio
« Le Delirium du papillon » de Typhus Bronx de et avec Emmanuel Gil mis en scène par Marek Kastelnik, du 25 octobre au 5 novembre, théâtre du Grand Rond 23, rue des Potiers, Toulouse, 05 61 62 14 85
Photos
Delirium du papillon 1 © Miriam Caltabiano
Delirium du papillon 2 © Judit Kurtag